{{À mesure que les emplois précaires se répandent au Japon, les cafés Internet accueillent une clientèle «permanente» de plus en plus nombreuse.}}
Le cybercafé de M. Sato, en face de la gare de Warabi, une ville périphérique de Tokyo, ressemble à des centaines d’autres. On peut y fumer, acheter des chips et des friandises et piocher parmi les centaines de titres de mangas, les bandes dessinées japonaises.
On peut aussi y acheter des rasoirs jetables, des brosses à dents ou des serviettes de bain, exposés en évidence près de la caisse. Et utiliser l’une des trois douches, une à chaque étage. Comme dans beaucoup d’autres cybercafés japonais, la plupart des clients de M. Sato habitent ici. Leur chambre ? L’une des 68 petites loges sombres protégées par une porte à battant, où tremble la lumière d’un PC.
Un phénomène en pleine expansion. On les appelle les neto nanmin les «réfugiés du Net». Le manager en chemise blanche, un peu gêné : «{Euh, nous n’utilisons pas ce mot. Il se trouve seulement que nous avons des clients qui restent plus longtemps que les autres.}»
Combien ? «{Bon, 20 % sont là depuis plus d’un mois et le reste continue à prolonger.}» Donc, 100 % de longs séjours ? «{Oui, mais il y a aussi des gens qui ont une maison et qui s’ennuient chez eux.}»
{{{Un phénomène en hausse}}}
Les «réfugiés» des cafés Internet sont en augmentation dans un Japon où 30 % des travailleurs sont des intérimaires, y compris dans les grandes entreprises, où le fameux «emploi à vie» n’est plus la règle. Difficile, dans ces conditions, de trouver un appartement à louer.
Le logement social n’est pas une priorité au Japon, et les propriétaires rechignent à louer à des employés en CDD. Les moins bien armés dans la vie, ceux qui ne trouvent pas d’amis pour les héberger, échouent dans les cybercafés.
«{Nous avons déjà aidé plus de 1 500 personnes}», dit Makoto Yuasa, cofondateur de l’association Moyai, qui se porte garante pour les SDF en quête de location. Cet ex-professeur de 40 ans aux petites lunettes rondes, s’est présenté en jean délavé et sweat-shirt à capuche lorsque le premier ministre l’a reçu en mars, un pied de nez aux strictes conventions vestimentaires japonaises. Grâce à lui, le mythe d’une société nippone où tout le monde appartiendrait à la classe moyenne s’est fissuré.
{{{«C’est du business»}}}
Pour le manager du cybercafé, les «réfugiés» ne représentent pas une nuisance, mais une clientèle somme toute normale. «{C’est du business}, dit-il. {Nous avons mis en place des tarifs dégressifs. C’est 100 yens l’heure, ( 0,70 euro), mais à partir de 15 jours, c’est 90 yens ( 0,66 euro), et 80 yens ( 0,60 euro) à partir de 30 jours}».
Les neto nanmin sont des gens discrets, ils viennent là pour dormir et évitent le contact. Outre le gîte, le café Internet leur fournit une adresse, indispensable pour les démarches administratives, une façon de ne pas disparaître complètement. Quant au travail temporaire, il est sans doute là pour longtemps. Toyota, le géant de l’automobile, vient d’annoncer son intention d’engager 800 travailleurs intérimaires.
Le phénomène n’est pas près de disparaître. M. Sato s’est trouvé un rôle social à bon compte. Il emploie trois balayeurs de 70 ans en quête d’un supplément de retraite. Le manager est content : «{Les vieux vont dans les coins, ils nettoient mieux que les jeunes.}»
[Source : Pierre Prier, le Figaro->http://www.lefigaro.fr/international/2009/09/16/01003-20090916ARTFIG00388-la-metamorphose-des-sdf-nippons-en-refugies-du-net-.php]