La soudaine contraction du marché japonais des téléphones portables a assombri les perspectives des fabricants de l’archipel, comme Sharp, NEC et Fujitsu, et certains pourraient se retrouver devant un choix difficile: une alliance ou la sortie.

Les opérateurs japonais ont adopté une nouvelle stratégie consistant à baisser leurs tarifs tout en augmentant les prix des nouveaux téléphones, poussant les consommateurs à garder leurs vieux combinés plus longtemps. Les ventes de téléphones portables se sont ainsi écroulées de 20% au deuxième trimestre au Japon, le quatrième marché mondial des combinés.

Face à des coûts de développement croissants, Mitsubishi Electric a cédé au printemps son activité déficitaire de téléphones portables et d’autres fabricants pourraient l’imiter dans les six à huit mois à venir, ont déclaré des analystes.

D’autres, confrontés à une concurrence féroce venue de fabricants étrangers comme Nokia, pourraient tomber dans les bras de leurs rivaux.

« Certains fabricants ne vont plus pouvoir supporter les coûts de R&D » dans la course au développement de combinés à succès, a déclaré Hideaki Yokota, analyste chez MM Research Institute. « Si la situation actuelle perdure, les choses ne vont faire qu’empirer ».

Il compte parmi les analystes qui estiment que Sharp, le numéro un japonais des fabricants de portables, et le numéro deux Matsushita Electric Industrial devraient résister à cette conjoncture grâce à la force de leur marque, ce qui ne devrait pas être le cas de groupes comme Hitachi, Kyocera et Casio Computer dont les parts de marchés sont moins importantes.

« La structure actuelle de cette industrie ne peut pas se maintenir. Nous allons avoir moins de fabricants de téléphones mobiles, moins de vendeurs de combinés, et moins de modèles de portables. Je ne vois rien à l’horizon qui puisse arranger les choses », a affirmé un analyste d’IDC, Michito Kimura.

Fujitsu, numéro trois en 2007 en termes de ventes, et le numéro cinq NEC ne devraient pas cesser leurs activités dans les téléphones portables en raison de leurs liens avec Nippon Telegraph et Telephone, qui ont besoin d’être approvisionnés en modèles populaires, a déclaré un autre analyste, préférant l’anonymat.

Mais, a-t-il expliqué, ils pourraient envisager une fusion pour contrecarrer la menace potentielle que constituent les fabricants étrangers comme Nokia et Apple, qui représentent actuellement moins d’1% chacun du marché japonais mais qui bénéficient d’économies d’échelle plus importantes.

« Avec un marché qui se contracte à cette vitesse, et avec les coûts de développement qui augmentent, comment vont-ils réussir à gagner de l’argent? », a poursuivi cet analyste.

Le Japon était en 2007 le quatrième marché mondial en termes de ventes de téléphones portables, derrière les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, selon les chiffres d’IDC. Quelque 51.5 millions de combinés ont été vendus dans l’archipel l’année dernière, soit une hausse de 4.4% par rapport à 2006.

Sony est le seul fabricant japonais à être présent au niveau mondial grâce à une coentreprise avec le suédois Ericsson, mais Sony Ericsson a publié une perte opérationnelle au titre du deuxième trimestre, imputable à une baisse de la demande pour les combinés haut de gamme.

MARCHÉ SATURÉ

Les ventes de combinés au Japon, berceau des premiers téléphones portables-appareils photos et de la navigation internet sans fil, ont chuté de 21% entre avril et juin via l’opérateur NTT DoCoMo, qui contrôle la moitié d’un marché de 100 millions d’utilisateurs.

La baisse des ventes a eu un impact sur le chiffre d’affaires de Sharp, qui a chuté de 39% au deuxième trimestre par rapport à la même période 2007, et qui a pesé sur les prévisions de Fujitsu, NEC et Kyocera.

Les consommateurs bien informés ne sont plus attirés par les nouvelles applications, comme la musique, la télévision et l’appareil photo, qui ont longtemps soutenu les ventes, a expliqué Kenshi Tazaki, vice-président de Gartner Japan.

« Ce n’est pas facile d’ajouter quelque chose de nouveau et d’attractif. J’ai peur que le marché intérieur reste apathique en 2009 », a-t-il déclaré.

Les analystes critiquent également la décision, prise l’année dernière, par DoCoMo et KDDI, respectivement premier et deuxième opérateurs de l’archipel, de réduire les subventions aux revendeurs, qui pouvaient atteindre plusieurs centaines de dollars par téléphone.

Ces subventions avaient permis de maintenir les combinés à des prix assez bas et favorisé la croissance du secteur, mais elles ont aussi submergé le marché japonais de téléphones vendus avec des technologies coûteuses que les consommateurs ne pouvaient pas utiliser ou dont ils n’avaient pas besoin, conduisant de nombreux fabricants japonais à se retirer des marchés étrangers.

De nombreux fabricants japonais se concentrent désormais sur un marché saturé, fournissant en petites quantités les opérateurs avec des modèles exclusifs.

Cette stratégie contraste avec celle de Nokia, qui produit en masse des modèles qu’il revend partout dans le monde, ce qui a pour effet d’éclipser les marques japonaises, qui à elles toutes représentent moins de 10% du marché mondial.

Mais Kyocera, qui a racheté en avril l’activités de téléphones portables de Sanyo Electric, et Sharp, qui a vendu ses modèles en Chine cette année, combattent cette tendance.

Kyocera prévoit néanmoins que son activité américaine soit déficitaire cette année, et les analystes s’attendent à ce que Sharp livre une dure bataille en Chine où la concurrence sur les prix est acharnée.

« Ils n’ont pas le choix », a déclaré Kimura, d’IDC. « S’ils veulent maintenir leurs activités dans la téléphonie mobile, ils doivent aller chercher une croissance hors du Japon ».

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