Les petits rorquals de l’Antarctique ne vont pas bien. Cette espèce de baleine (Balaenoptera bonaerensis) voit l’épaisse couche de graisse qui la protège du froid et lui sert de réserve énergétique fondre régulièrement depuis plusieurs années.
Ce résultat a été établi par des chercheurs japonais à partir de l’analyse des animaux « capturés », en fait tués, lors des campagnes dites scientifiques que le Japon mène depuis le moratoire sur la chasse commerciale adopté en 1987. Publié cet été sur Internet dans Polar Biology, l’article de Kenji Konishi et de ses collègues suscite de vives réactions chez les experts des cétacés, du fait qu’il paraît justifier l’intérêt d’une chasse scientifique très contestée.
Les chercheurs ont mesuré précisément la couche de graisse entourant plus de 4 700 petits rorquals tués depuis dix-huit ans dans une région de l’océan Antarctique située au sud de l’Australie. La « capture » mortelle s’opère avec des « harpons explosifs et un fusil de grand calibre pour le cas où la mort ne serait pas instantanée ». Les chercheurs ont constaté le déclin de l’épaisseur de la couche de graisse, en moyenne de 4 % et 9 % selon les parties du corps étudiées, le poids total de la couche diminuant pour sa part de 9 %.
MANQUE DE DONNÉES
Comment expliquer ce phénomène ? Les auteurs l’attribuent à une moindre abondance de krill, une population de petits crustacés très abondante en Antarctique qui est la nourriture de base des cétacés. Mais comment expliquer cette diminution ? Peut-être par la concurrence d’autres prédateurs : depuis qu’elles ne sont plus chassées, d’autres baleines, notamment les baleines à bosse (Megaptera novaeangliae), ont vu leur population s’accroître. Leur ponction sur le stock de krill pourrait diminuer l’approvisionnement des petits rorquals.
Une autre explication pourrait être le changement climatique : en faisant reculer la glace sur le pourtour du continent antarctique, il réduirait la quantité de krill, qui dépend de cette couverture glacée. Le manque de données interdit de trancher le débat. L’évolution dans le temps de la biomasse du krill est incertaine, et si l’effet du changement climatique est très perceptible sur la péninsule antarctique, ses effets ne sont pas connus dans la zone où les chercheurs japonais ont travaillé.
Par ailleurs, le débat scientifique ne se mène pas sereinement. L’article a été refusé par deux revues scientifiques, Ecologia et le Journal of The Royal Society, « parce qu’elles étaient inquiètes de ses implications politiques », indique Lars Walloe, de l’université d’Oslo, coauteur de l’article. Se fonder sur les données publiées dans Polar Biology serait en effet reconnaître la validité de la méthode de recherche utilisée. « Il y a une question éthique, dit Mark Simmonds, directeur scientifique de la Whale and Dolphin Conservation Society. On ne peut pas tuer pour obtenir ces informations. Et le but de conserver ces populations ne justifie pas ce genre de recherche. »
Le phénomène observé n’en semble pas moins important. Comprendre la cause de l’affaiblissement des petits rorquals serait utile pour décrypter l’effet du changement climatique sur les océans et la biologie marine. Mais peut-on trouver d’autres moyens d’étude que le harpon ?
Hervé Kempf
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