Des rampes au lieu d’escaliers, des couches pour adultes empilées dans un coin, des gardiens reconvertis en aide-soignants… Bienvenue dans les prisons pour seniors du Japon, pays où le vieillissement prononcé de la population se répercute directement sur l’univers carcéral.
Au cours des dix dernières années, le nombre de prisonniers de plus de 60 ans a doublé au Japon, pour dépasser aujourd’hui les 10.000, soit 16% de la population carcérale. La tranche d’âge des plus de 60 ans n’a augmenté « que » de 30% pour l’ensemble du pays.
Si le taux de criminalité demeure relativement bas au Japon, l’augmentation de la délinquance chez les seniors reflète pour beaucoup les difficultés économiques nippones et la disparition progressive du lien social au pays du Soleil levant.
La plupart des détenus âgés ont en effet été condamnés pour des vols, de nourriture ou de produits de première nécessité et environ la moitié sont récidivistes. Certains se font prendre sciemment pour retrouver le calme et le confort relatifs de la prison, où trois repas quotidiens et deux douches hebdomadaires sont garantis.
« Je suis déjà un vieil homme, et, dehors, l’économie est mauvaise », a expliqué un détenu de près de 70 ans à l’Associated Press, qui a obtenu la rare autorisation de visiter une prison japonaise. La loi carcérale nippone interdit de donner le nom et l’âge exact des détenus.
Condamné à une peine de trois ans et demi pour tentative de vol, il doit être libéré en avril. Une perspective qui le remplit de crainte plutôt que de joie. « J’ai peur qu’il n’y ait pas de travail pour quelqu’un comme moi », dit-il.
Outre le vieillissement de la population, la croissance des détenus âgés s’explique aussi par la longueur plus élevée des peines prononcées au Japon. Et les seniors sans famille n’ont pratiquement aucune chance d’obtenir une liberté conditionnelle, seulement accordée aux condamnés ayant dans leur entourage une personne pouvant se porter garant pour eux.
« Le nombre de détenus âgés est en forte augmentation et il n’y a aucun signe de diminution », reconnaît Koki Maezawa, en charge des services carcéraux au ministère de la Justice. « C’est un problème grave dont la société doit s’occuper si on ne veut pas que les contrevenants reviennent en prison une fois sortis ».
Si le Japon n’est pas le seul pays au monde concerné par le vieillissement de la population carcérale, il est celui où le phénomène est le plus prononcé. Face à la situation, le gouvernement a investi l’équivalent de plus de 100 millions de dollars (74,9 millions d’euros) pour construire des unités gériatriques dans quatre prisons. D’autres bâtiments de ce type sont également prévus.
Dans l’unité-pilote de la prison d’Onomichi, près de Hiroshima (sud-ouest), vivent 61 détenus âgés de 60 à 89 ans. Ici, les rampes ont remplacé des escaliers et les détenus peuvent utiliser des déambulateurs s’ils en ont besoin. Ils travaillent six heures par jour, au lieu des huit réglementaires et sont consignés aux tâches plus légères: trier le courrier, plier le linge et faire les lits. Tous les gardiens ont été formés aux soins pour les personnes âgées, et deux ont le diplôme d’aide-soignant.
La vie des prisonniers n’en est pas moins strictement réglementée et les conditions de détention restent spartiates. Il n’y a pas d’air conditionné dans les cellules pour aider les détenus à passer les étés étouffants du sud-ouest du Japon. Tous les prisonniers doivent travailler, même ceux qui ont dépassé l’âge de la retraite. Les conversations sont interdites au déjeuner, sur le lieu de travail et dans les douches. Les détenus ne peuvent se parler, lire ou regarder la télévision que brièvement après le déjeuner et le soir, jusqu’à l’extinction des lumières, à 21h.
La moitié des détenus souffrent de démence et la prison dispose d’une petite clinique. Les patients nécessitant des soins avancés sont transférés vers des établissements équipés de services hospitaliers, comme à Hiroshima.
Face à l’afflux de détenus âgés, les autorités affirment toutefois qu’il est hors de question que la prison devienne la maison de retraite japonaise de demain. D’où la nécessité de retisser le lien social, premier rempart contre l’isolement des seniors et la délinquance qui peut en découler. Au Japon, les condamnations de personnes âgées pour vol à l’étalage ont été multipliées par près de sept au cours de la dernière décennie, selon la police métropolitaine de Tokyo.
« Le vol à l’étalage des seniors est devenu un problème social majeur et nous avons tardé à prendre les mesures adéquates », estime Fumio Yamashita, de la police de Tokyo.
« Notre principal souci est d’empêcher les détenus de récidiver. Cela serait mieux s’ils pouvaient subvenir physiquement et financièrement à leurs besoins. Dans le cas contraire, qui va s’occuper d’eux? », explique pour sa part Takashi Hayashi, directeur de la prison d’Onomichi. « Les maisons de retraites sont déjà pleines. Qui voudra accepter d’anciens détenus? ».
©[2010-AP-LenouvelsObs.com->http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20101215.FAP2454/les-vieillards-de-plus-en-plus-nombreux-dans-les-prisons-japonaises.html]