Volet militaire : l’attente…
Le 31 mars, un peu avant 8 heure du matin, le destroyer Kirishima a quitté le port militaire de Yokosuka (pour la « petite histoire », puisque nous traitons dans cette rubrique des questions de Défense, nous rappelons que l’arsenal de Yokosuka a été construit sous la direction d’ingénieurs français au XIXe siècle et qu’il est toujours en activité) pour se rendre dans sa zone opérationnelle au large de l’île d’Okinawa.
Le 5 avril, les batteries antimissiles Patriot Pac-3, transportés par mer, sont arrivées sur l’île d’Ishigaki (préfecture d’Okinawa). Le dispositif se met en place progressivement pour être prêt le Jour J (12 avril 2012 ?), il repose sur un ensemble de moyens de repérage au sol et embarqués; les tirs seraient effectués à partir de batteries de missiles antimissiles (Patriot Pac-3) ou de missiles SM-3 (système Aegis), installés sur des bâtiments de la flotte des Forces d’auto-défense.
Le lancement de la « fusée-missile » nord-coréenne sera repéré par un satellite nord-américain: les informations seront ensuite retransmises au Commandement de défense de l’espace aérospatial, installé dans le Colorado (États-Unis), qui les fera parvenir à la base aérienne de Yokota (Tôkyô) et au poste central de commandement du ministère de la Défense japonais, via différents relais de transmission. Le vecteur sera suivi, sur un axe nord-sud, par des radars au sol (système de position fixe n°5, FPS-5), installés sur les îles de Sado (préfecture de Niigata), de Shimokoshikijima (préfecture de kagoshima) et d’Okinawa (installations du Mont Yozadake), et par les moyens de détection embarqués des destroyers-Aegis (radar SPY-1).
La décision de détruire la « fusée-missile » appartiendra au chef des forces aériennes de défense japonaises et dépendra de la trajectoire de l’engin: si celui-ci suit le vol initialement prévu (en passant à 500 km au-dessus de la zone de l’île d’Ishigakishima) l’interception n’aura pas lieu (et à condition qu’aucun débris de l’engin ne menace de tomber sur le territoire japonais). Ce serait les missiles de longue portée SM-3 qui tireraient les premiers pour tenter d’atteindre leur cible au-delà de l’atmosphère terrestre, en cas d’échec, ce serait ensuite les missiles Patriot qui seraient lancés. Le Japon et les États-Unis ont déjà procédé à des exercices simulant un scénario proche de la situation actuelle et les résultats se sont révélés globalement concluant. Selon, un responsable des Forces d’autodéfense aériennes, les missiles antimissiles seraient même en mesure d’intercepter les débris pendant leur chute, en dépit de leur trajectoire aléatoire…
Par contre, le système J-Alert, moyen de transmission satellitaire des informations urgentes à destination des 47 préfectures de l’archipel (voir notre précédent article) ne serait pas opérationnel dans plus de 30% des cas, ce qui n’est pas sans susciter la crainte des responsables administratifs et associatifs…
Un satellite d’observation nord-américain a dévoilé l’état d’avancement des préparatifs du lancement. Washington prétend que les lancements successifs viseraient à lancer une ogive nucléaire sur les États-Unis, lorsque les technologies afférentes seront suffisamment maîtrisées par les ingénieurs nord-coréens.
Volet politico-diplomatique : l’impasse…
En Corée du Nord, les préparatifs du lancement ont bien avancé et aucun retour en arrière ne paraît possible: une conférence spéciale, avec les principaux décideurs du parti, se tiendra à ce sujet le 11 avril pour offrir son soutien au nouveau chef de l’État (et du parti), Kim Jong Un. De plus, des célébrations de masse sont prévues le 15 avril prochain pour commémorer le 100e anniversaire de Kim Il Sung (fondateur et premier dirigeant de la Corée du Nord). Les enjeux symbolique sont trop forts… Le processus paraît irréversible.
Une récente rencontre informelle entre une délégation nord-américaine et nord-coréenne s’est déroulée à Berlin (Allemagne), mais rien n’a filtré sur l’identité des participants et sur les propos qui s’y sont tenus (la date des entretiens n’est pas précisée, l’information est donnée dans le numéro du 3 avril). En parallèle, les chancelleries japonaise et américaine continuent de « faire pression »…
Sur le devant de la scène, le gouvernement japonais a annoncé son intention de prolonger d’une année supplémentaire les sanctions qui pèsent sur la Corée du Nord (celles-ci expiraient théoriquement (ironie du sort !) le 13 avril 2012): le Cabinet du Premier ministre a décidé de maintenir les mesures antérieures à savoir un embargo commercial et l’interdiction d’entrée pour les bâtiments battant pavillon nord-coréen au Japon. En outre, Pyongyang, en dépit des demandes réitérées par Tôkyô, n’a jamais rouvert le dossier des citoyens japonais enlevés par des agents nord-coréens, et dont certains sont morts en captivité. Le gouvernement va également réduire les plafonds des montants financiers pouvant être expédiés par les particuliers sans agrément officiel, enfin, aucune délégation japonaise n’assistera au lancement de la fusée en Corée du Nord: l’invitation faite par Pyongyang sera donc déclinée.
Le 2 avril, Shinsuke Sugiyama, directeur-général du bureau des affaires asiatiques et océaniennes du ministère des Affaires étrangères a rencontré Kurt Campbell, l’assistant du Secrétaire d’État pour les affaires est-asiatiques et pacifique et le représentant spécial du Secrétaire d’État en charge du dossier politique nord-coréen, Glyn Davies. Les diplomates se seraient entendus, selon les propos de M. Shinsuke Sugiyama à la presse, pour une coopération plus étroite entre leurs pays, la Chine et la Russie, puissances participant également aux accords sur la dénucléarisation de la Corée du Nord. Il a également été question de l’éventuelle réponse américano-japonaise au lancement du vecteur et du maintien de l’envoi d’une délégation de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Yongbyon. Il n’est pas à exclure que les deux pays portent le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies…
Après le sommet mondial sur la Sécurité nucléaire (Séoul, 26-28 mars 2012), c’est au tour des participants au sommet et à la célébration officielle des 45 ans de la création de l’ASEAN (Phnom Penh, 3 avril) d’avoir appelé la Corée du Nord à suspendre le lancement, mais les contentieux territoriaux autour des îles inhabitées (lesquels impliquent notamment la Chine) et la levée des sanctions contre Myanmar étaient au cœur des discussions…
Rémy Valat – Sources: The Daily Yomiuri, semaine du 1er au 7 avril 2012