Les fleurs de l’équinoxe higanbana fleurissent dans le Kansai, les arbres commencent à jaunir… l’automne est arrivé au Japon. Ce moment de l’année correspond également dans une ville comme Kyôto avec une période essentielle de la saison : la Golden Week chinoise, soit une semaine entière durant laquelle les Chinois partent massivement en vacances et où Kyôto en héberge le plus dans ses hôtels. Or cette année, ils ne devraient pas être légion à venir admirer les higanbana ou bien encore le temple de Kiyomizu, pourtant site le plus visité des Chinois à Kyôto. Il faut bien avouer que ces derniers mois, l’amitié nippo-chinoise n’a pas été des plus vives. « Nous avons de vives craintes pour la saison touristique cette année. Avec les incidents de cet été, nous nous attendons à accueillir bien peu de touristes chinois », nous avoue le gérant d’une boutique de souvenirs en face du temple Kiyomizu.
Depuis le mois de juillet, le litige territorial autour des îles Senkaku a donné lieu à de nombreuses manifestations[1] ou bien encore à un boycott des produits japonais en Chine. Cette situation s’est traduite au Japon par une nouvelle poussée des sentiments nationalistes auprès des politiques, comme l’on montré les premières visites de ministres démocrates au Yasukuni[2], ou bien encore par l’arrivée à la tête du PLD de l’ancien premier ministre Abe Shinzô, réputé notamment pour ces idées négationnistes[3]. Des deux côtés donc, la tension est palpable, ce que l’écrivain Haruki Murakami n’a pas manqué de qualifier de « démence d’ivrogne » entre les deux gouvernements[4].
Ce contexte de tensions mutuelles entre les deux pays se répercute logiquement sur les flux de touristes : la compagnie aérienne ANA annonce 28 000 annulations de vols depuis la Chine vers le Japon, contre 12 000 dans le sens inverse[5]. Même la préfecture d’Okinawa, où une seule nuitée dans un hôtel permet à un Chinois de bénéficier d’un « visa à entrée multiple » sûji biza, (nouveau système de visa touristique mis en place en juillet 2011 uniquement pour les chinois, qui leur donne la possibilité de se rendre aussi souvent qu’ils le souhaitent au Japon en tant que touriste durant trois ans) a récemment annoncé 3 700 annulations de séjours de Chinois[6] (correspondant à près de 20% des touristes chinois de l’année précédente).
Ces chiffres peuvent paraitre dérisoires alors que le Japon a accueilli plus de 6 millions de touristes étrangers en 2011. Depuis le début des années 2000, le gouvernement japonais fait du développement du tourisme international[7] un objectif prioritaire, afin notamment de placer le Japon au même niveau que les principaux pays développés, qui attirent pour la plupart le plus de touristes étrangers (1er France avec 77 millions de touristes, 2nd États-Unis avec 60 millions, 3e Chine avec 56 millions[8]).
La Chine étant de son côté dotée d’un fort pouvoir d’attraction de touristes, elle n’en est pas moins un important pays émetteur de voyageurs vers l’étranger. Elle se place d’ailleurs au troisième rang des pays dont les ressortissants font le plus de dépenses touristiques à l’étranger, soit 55 milliards d’euros en 2010.
Donc, si les Chinois comptent pour 17% des visiteurs étrangers au Japon, à savoir la deuxième population de touristes étrangers du pays[9], leurs consommations touristiques n’y représentaient pas moins du quart des revenus du tourisme international. En 2010, la dépense moyenne d’un touriste chinois au Japon est estimée à 1 740 euros, contre 672 euros pour un Sud-coréen (les touristes étrangers les plus nombreux au Japon) et 1 023 euros pour un Taïwanais (3e population de touristes étrangers). D’autant plus que plus de la moitié des dépenses touristiques des Chinois ne portent pas sur les frais de transports ou bien l’hôtellerie, mais sur l’achat de biens de consommation[10], notamment les produits électroménagers. « Le gouvernement japonais souhaite attirer des touristes étrangers toujours plus riches, et vise par conséquent la clientèle chinoise », nous confie un guide touristique de Kyôto.
Or depuis cet été, les professionnels du tourisme s’attendent à une crise majeure. Dans une ville comme Kyôto, une des principales destinations touristiques du pays pour les étrangers, on comptait près d’un million de touristes étrangers dans les hôtels en 2010, dont près d’un tiers d’Américains (280 000 individus)[11]. Mais suite à la catastrophe du 11 mars 2011, le nombre de touristes a cruellement chuté dans l’ensemble du pays. Toujours à Kyôto, on comptait à peine plus de 500 000 d’étrangers[12], une chute due en particulier à une réduction des trois-quarts des flux de touristes américains, tandis que le nombre de touristes chinois n’a baissé que de 10%.
En d’autres termes, les touristes chinois constituent une clientèle de choix pour l’industrie du tourisme japonais car ils sont proches géographiquement, ils sont nombreux, ils dépensent beaucoup sans se limiter aux simples consommations proprement « touristiques » (hôtels, transports, visites de lieux touristiques) et surtout, ils semblent être moins effrayé que les touristes occidentaux par la catastrophe de Fukushima. Mais avec la crise des Senkaku, il ne faut pas s’attendre à ce que le tourisme des Chinois au Japon s’épanouisse avant plusieurs mois, ce qui devrait marquer un nouveau coup dur à l’économie japonaise et, plus généralement, aux relations sino-japonaises.
Par Mike Perez pour japoninfos.com, le 4 octobre 2012 à Kyôto
[1] « La dispute autour des Senkaku risque de coûter cher à la Chine et au Japon », RFI.fr, 11 septembre 2012.
[2] « Les Senkaku encore et toujours dans l’échiquier asiatique », Japoninfos, 21 août 2012.
[3] « Hawkish Abe wins LDP presidency », Japan Times, 26 septembre 2012.
[4] « Murakami san kikô, ryôdo meguru nekkyô “yasuzake no yoi ni niteru” (Murakami contribute au débat : ce différend territorial ressemble à une démence dû à l’ivresse d’un alcool bon marché) », Asahi.com, 28 septembre 2012.
[5] « 40,000 ANA seals canceled on China routes », Japan Times, 28 septembre 2012.
[6] « 3,700 Chinese cancel trip to Okinawa », Japan Times, 21 septembre 2012.
[7] C’est-à-dire le tourisme des étrangers à l’intérieur d’un pays.
[8] « Faits saillants du tourisme, édition 2011 », Organisation Mondiale du Tourisme, 2012.
[9] White Paper on Tourism in Japan, 2012, p. 33
[10] Hayato NAKAMURA, « Coming Jump in Chinese Tourists to Boost Japan’s Economy », Economic Review, Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ, vol. 11, n° 9, 18 juin 2010.
[11] Kyôto-shi kankô chôsa nenpô (Bilan annuel des études sur le tourisme de la ville de Kyôto) 2010, rapport de la municipalité de Kyôto, août 2011.
[12] Heisei nijûsan nen Kyôto kqnkô sôgô chôsa no kekka ni tsuite (Résultat des études synthétiques sur le tourisme à Kyôto en 2011), rapport de municipalité de Kyôto, 9 juillet 2012.