Les mégabanques japonaises avaient presque disparu du paysage financier international. Les voilà de retour en bien meilleure forme que bon nombre de leurs homologues anglo-saxonnes prêtes à faire les acquisitions indispensables à leur internationalisation.
Nomura Securities, première maison de titres japonaise, a mis la main sur les actifs Asie-Pacifique et européens de Lehman Brothers. Pour un montant qui correspond à celui levé cette année par le courtier pour financer son développement international. Pendant ce temps, Mitsubishi UFJ Financial Group a accepté de payer 900 milliards de yens pour une prise de participation de plus de 20 % dans Morgan Stanley. Et un siège au conseil d’administration. En août, la même banque avait déjà pris 35 % de UnionBanCal, un établissement de San Francisco. Sumitomo Mitsui a quant à elle investi 1 milliard de dollars dans Barclays et Merrill Lynch.
Qui aurait parié sur un tel revirement, ne serait-ce que cinq ans plus tôt ? Les banques japonaises étaient alors en pleine débâcle. Elles n’ont évité la faillite qu’à la faveur d’une intervention massive des autorités japonaises qui a coûté quelque 80 milliards d’euros. Dix ans quasiment ont été nécessaires pour nettoyer les bilans et assainir les portefeuilles des créances douteuses accumulées dans les années 1990. La dernière étape a sans doute préservé les banques des excès dans lesquels sont tombés les établissements anglo-saxons. Elles ont été suffisamment accaparées par le remboursement à l’Etat des capitaux publics qui leur avaient été confiés qu’elles n’ont pas pu s’aventurer sur de nouveaux risques. A présent, le remboursement est terminé pour la majeure partie d’entre elles et elles peuvent se prévaloir d’une exposition au « subprime » relativement minime (850 milliards de yens fin mars). Leur dimension nationale les a même prémunis contre les soubresauts de la conjoncture. Mitsubishi UFJ Financial Group, Mizuho et Sumitomo Mitsui ont dégagé un bénéfice supérieur à 100 milliards de yens l’an dernier et devraient, sauf accident, rester profitables cette année. Le temps où les grands noms de la finance internationale raillaient les mégabanques japonaises, jugées peu rentables et très nationales dans leur activité, est bel et bien révolu. Les défis n’en sont pas moins énormes.
Le Japon demeure l’une des économies les plus fermées du monde confrontée, qui plus est, au vieillissement de sa population. Pour les banques, qui bénéficient d’un des taux d’épargne les plus élevés au monde (1.490.000 milliards de yens fin mars 2008), placée à plus de 80 % de façon non risquée, c’est-à-dire sous forme de dépôt, elles n’ont d’autre solution que de pousser leurs feux hors de leurs frontières. Seulement la donne a changé et le plan imaginé voici dix-huit mois ne s’est pas déroulé comme prévu. Il faut remonter à l’année 2006. Les grandes fusions viennent d’être faites, Mitsubishi Tokyo Financial Group avec United Financial of Japan (UFJ), tandis que Mizuho a réuni sous un même holding la maison de titres, la banque de financement des grandes entreprises et l’établissement de gestion d’actifs. Sumitomo Mitsui est formé pour sa part de la réunion de Sumitomo et de Sakura et de la maison de titres Daiwa.
A la question de l’internationalisation de ces nouveaux géants, les représentants des mégabanques répondaient généralement par une stratégie en direction des pays émergents : la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Inde ou encore la Russie. L’investissement doit plutôt prendre la forme d’un achat de réseau, les banques voulant accompagner leurs clients sans fixer ni priorité géographique ni échelle de temps. A la lumière des toutes dernières opérations, elles ont clairement investi là où on ne les attendait pas. Non pas qu’elles aient changé brutalement de cible, simplement, elles ont saisi des opportunités. C’est l’autre enseignement de ces derniers jours. Elles ont mené leur raid à une vitesse que l’on ne connaissait pas de la part des Japonais, grands adeptes au contraire des décisions toujours mûrement réfléchies et des risques évalués à la loupe. Nomura par exemple était loin d’être seul pour emporter l’affaire. Il était face à deux courtiers asiatiques, un chinois et non des moindres, Citic Securities, et un coréen, Samsung Securities, ainsi que deux européens (Barclays et Standard Chartered).
C’est donc avec des habits totalement neufs que les mégabanques abordent cette crise.
MICHEL DE GRANDI est le correspondant des « [Echos->www.lesechos.fr] » à Tokyo. [email protected]
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