Une morgue. C’est la première chose à laquelle on pense en apercevant les deux étages de compartiments numérotés et alignés les uns à côté des autres. Parce qu’ils sont tout juste assez grands pour contenir le corps d’un homme… à l’horizontale.
Mais il n’y a pas de cadavres ici. Nous sommes à Tokyo, en train de tester une autre de ces inventions dont les Japonais ont le secret: l’hôtel capsule.
Ces hôtels, qui poussent près des gares des grandes villes du Japon, sont connus pour l’étroitesse de leurs «chambres», de simples cocons dans lesquels on se faufile le temps d’une nuit.
Ils sont fréquentés par un seul type de clientèle: les hommes qui ont manqué le dernier train et qui sont pris en ville pour la nuit. Les femmes ne sont pas admises. Et un simple coup d’oeil suffit pour comprendre que le taux d’alcoolémie moyen est probablement plus près de celui d’une fête universitaire qui s’achève que de celui permettant de conduire une voiture.
De mon côté, ne reculant devant rien pour exercer le droit à l’information, j’ai délibérément traîné dans le quartier de Shibuya jusqu’à ce que la ligne de métro qui aurait pu me ramener à mon «vrai» hôtel soit fermée. Puis j’ai suivi la foule de joyeux naufragés vers l’un de ces lieux exotiques. Pour 38 $, on m’a attribué une place au septième étage.
Je suis maintenant devant mon cocon et je m’y engouffre par l’ouverture.
À l’intérieur, le plafond est si bas qu’il est impossible de s’asseoir complètement. Un téléviseur miniature branché à des écouteurs est fixé au plafond. Une petite lampe et un réveille-matin sont intégrés aux murs.
La surprise: contrairement à ce que j’avais cru, la capsule n’est dotée d’aucune porte. À l’extrémité, au bout de mes pieds, il n’y a qu’un rideau qui s’abaisse.
La nouvelle est mauvaise. Parce que, autour de moi, le concerto pour ronflements bat son plein. Et aucune paroi solide ne permet de l’atténuer.
Je passe les écouteurs, allume la télé et passe à un cheveu de la crise cardiaque. Le volume est au maximum et l’appareil diffuse un film porno qui semble tout miser sur les gémissements suraigus.
Je reprends mes esprits, éteins tout et entame ce qui sera une longue nuit d’insomnie. Le tout n’est cependant pas dénué d’intérêt scientifique: je peux aujourd’hui témoigner que, peu importe son ethnicité, l’être humain mâle produit toujours le même son lorsqu’il ronfle et qu’il pète.
Plus difficile, cependant, de savoir à quoi rêve mon voisin d’en haut, qui s’agite par intervalles en grognant puissamment.
Mon insomnie me permet d’imaginer à quoi pourrait ressembler un tel lieu dans un autre pays que le Japon. Car malgré les désagréments, il faut avouer que tout est impeccablement propre, qu’il n’y a ni cris ni bagarres et qu’on se sent tout à fait en sécurité. Pour un endroit qui accueille une telle concentration d’hommes ivres, c’est quand même impressionnant.
L’heure où le métro recommence à rouler arrive enfin. Je constate au petit matin à quel point les Japonais pensent à tout. Dans la salle de bains commune, des hommes hagards puisent dans d’énormes paniers remplis de brosses à dents, de peignes et de rasoirs emballés individuellement. Il y a du dentifrice, du rince-bouche, même de l’eau de Cologne. Le sauna et les douches se trouvent quelques étages plus bas: tout ce qu’il faut pour camoufler qu’on a passé la nuit sur la corde à linge.
Les hommes qui quittent l’hôtel, chemise au dos et mallette à la main, s’en vont d’ailleurs directement au bureau. Dans mon cas, la priorité s’épelle en deux syllabes: café.
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