Sélectionné dans la catégorie Un certain regard du Festival de Cannes, le nouveau Naomi Kawase est sorti depuis quelques semaines sur les écrans français. Les délices de Tokyo ou An (pâte de haricot rouge en Japonais) est considéré comme le film le plus abordable de la réalisatrice mais aussi comme celui qui est le plus démonstratif (trop aux yeux de certains).
Trois vies cabossées vont se rencontrer dans la petite échoppe de dorayaki (des crêpes fourrées à la pâte de haricot rouge) de Sentaro, un vendeur bien rustre qui déteste les aliments sucrés. Là, une collégienne pauvre et un peu ingrate, Wakana et une vieille femme aux doigts abîmés, Tokue forment bientôt un trio un peu incroyable. Lourds de secrets et de non-dits, les trois personnages s’apprivoisent et semblent alléger leur propre existence dans ce quartier de Tôkyô où seuls les cerisiers semblent un élément de grâce. On comprend bien vite que la sympathique Tokue qui parle aux haricots et à la nature est une ancienne lépreuse et ceci ne sera pas du goût de tous les clients de la petite échoppe. Surtout pas celui de la patronne de l’établissement qui se laisse doucement bercée par des commérages dignes de petits villages provinciaux.
Kawase, sans trop d’insistance, évoque le problème des lépreux au Japon qui eurent un statut particulier jusqu’en 1996 mais qui rappelle aussi le statut problématique des personnes irradiées (victimes des bombes ou plus récemment de la catastrophe de Fukushima). De manière encore plus large, l’argument du film insiste sur la place des marginaux dans un pays qui a souvent mis en avant le groupe et la réussite sociale mais qui est en crise profonde face à ses propres modèles. Un écho que nos sociétés occidentales peuvent elles aussi méditer !
On peut retenir de merveilleuses séquences sur la nature et ses changements en pleine zone urbaine. Kawase, à travers le personnage de Tokue, rend sensible un élément comme le haricot rouge et toute une poésie de la nature transparait à travers de nombreuses séquences. Film d’apprentissage et d’un certain recentrement de l’homme par rapport à l’univers, le spectateur ressort avec une belle leçon de vie et de cinéma.