Prêts immobiliers : le Japon cultive aussi le risque
Finance. Tokyo a injecté 10 milliards d’euros pour enrayer la crise.
Tout faire pour éviter l’endémie, calmer les esprits et réduire les effets de la crise du crédit apparue sur un marché immobilier américain victime de son système de prêt. Une fois de plus, hier, la Banque du Japon (BoJ) est intervenue sur les marchés financiers et a injecté dans le circuit monétaire nippon 600 milliards de yens (3,75 milliards d’euros) après une première injection, vendredi, de 6,25 milliards d’euros. Des « opérations normales », selon elle. Premier effet, la Bourse de Tokyo a rouvert à la hausse lundi matin. Et l’indice Nikkei a clos hier soir sur un gain de 0,21 % (après avoir chuté de plus de 2 %.)
Panique. Cette injection massive de capitaux illustre la volonté nippone d’éviter, à tout prix, les dommages collatéraux du vent de panique venu d’Amérique. Comme le note un courtier à Tokyo, « dans cette affaire, la Banque du Japon a surtout cherché à ce que le problème des prêts immobiliers américains ne gagne pas le marché japonais ». « Au Japon, la question des prêts immobiliers est un sujet ultrasensible, renchérit le britannique Tony Collins, président de IFG Asia Mortgages à Tokyo. Dans les années 80 et 90, les Japonais ont été victimes du même problème que les Américains aujourd’hui. Ils ont mis vingt ans à s’en remettre et à nettoyer leurs mauvaises créances. Le problème des créances douteuses semble résolu mais la situation du marché immobilier japonais reste épineuse. Paradoxalement, les banques du pays ne veulent pas revivre le scénario noir des années 80, mais elles refusent d’en tirer les leçons. On voit encore des banques japonaises pratiquer des prêts non sécurisés. Parfois, elles savent que les ménages auxquels elles prêtent ne pourront pas rembourser l’intégralité de la somme, malgré tout elles prêtent aveuglément, parfois via un organisme de crédit pratiquant des taux élevés. Globalement, les banques japonaises sont plus conservatrices et performantes qu’il y a vingt ans mais elles n’ont pas encore établi les bons systèmes d’évaluation de prêts. » Parmi ces banques, le cartel nippon Mizuho serait, en matière de prêts immobiliers, un des plus lents à mesurer le risque client. Au-delà du court terme boursier, et malgré un cadre législatif un peu plus sûr – une loi interdit les prêts des groupes de crédit à des taux supérieurs à 20 % – le marché immobilier nippon demeure gangrené de l’intérieur. Comme aux Etats-Unis, l’archipel prête encore trop aux ménages qui ont les capacités de remboursement les moins sûres. Des millions de Japonais paient encore au prix fort (à des taux élevés) ce qui est devenu un sport national : l’endettement via la contraction d’un prêt auprès d’une maison de crédit non bancaire. Dans la niche des prêts aux particuliers, c’est encore la loi de la jungle.
Ironie. Outre les grands groupes bancaires, d’autres établissements, plus petits – comme les shoko ou les sarakin – et autres sociétés de crédit, pratiquent des prêts à des taux usuraires. En cas de défaut de paiement, certaines maisons n’hésitent pas à recruter des shakkin tori, recouvreurs spécialisés à la solde des sociétés de prêts. Ironie de la situation, le retour de la croissance, il y a cinq ans, a dopé ces établissements.
Les foyers japonais rêvant de nouveau d’accéder à la propriété, et les banques ayant pour beaucoup réduit leurs encours, ces groupes de crédit, vrais requins de la finance, assurent au prix fort l’achat d’une maison ou d’un appartement remboursable sur deux générations. Takefuji, Promise ou Acom figurent parmi les leaders du secteur.
Parallèlement, depuis qu’en 2005, le marché immobilier nippon est reparti à la hausse dans les quartiers les plus huppés de Tokyo et d’autres grandes villes (après une baisse considérable de sa valeur depuis douze ans), il intéresse plus encore les grands groupes financiers (banques, fonds, etc.) japonais et étrangers.
Afin d’y être mieux présent, ces derniers n’hésitent pas à racheter un établissement de crédit bien implanté localement. L’américain GE (General Electric) a ainsi mis la main sur la société nippone Re-Ku, et le géant Citigroup sur De-ku. « Certains nouveaux établissements de crédit prêtent à des taux parfois très bas. Mais utilisent de plus en plus comme garantie le recours à une hypothèque directe », lit-on dans un rapport publié l’an dernier par la Japan Credit Counselling Association.
Source :Liberation.fr