Des nombreux couples de Japonais viennent à Paris ou en Europe pour célébrer leur mariage au cours d’une cérémonie religieuse. Une véritable économie se développe autour de ces touristes à la recherche de rites exotiques et de romantisme.
Paris – La première fois qu’Hirosha Watanabe et Naoko Shibuya ont mis le pied dans une église, c’était pour un instant étourdissant. Ils remontaient l’allée centrale, lui en queue-de-pie gris perle, elle en robe de mariée vaporeuse, au son de la classique Marche nuptiale de Wagner. Devant l’autel de l’église américaine de Paris, ils ont été rejoints par un ministre du culte, un interprète, un vidéaste et un photographe, acteurs incontournables des somptueuses cérémonies à l’occidentale avec toute la panoplie traditionnelle que proposent les forfaits mariage japonais.
Dans leur grande majorité, les jeunes mariés sont plus familiers des coutumes shinto que des rites chrétiens. Mais ils viennent en masse à Paris et dans d’autres villes européennes en quête de rituels, de vitraux et d’orgues ronflants, autant de caractéristiques qu’ils ont choisies sur des catalogues en ligne.
En haute saison, en été et en automne, les Japonais sont si nombreux à venir se passer la bague au doigt que l’église interconfessionnelle américaine a dû faire appel à des pasteurs retraités pour célébrer le sacrement du mariage. Une église adventiste des abords de Paris et la cathédrale américaine, qui propose des cérémonies célébrées par l’évêque, accueillent également de nombreux jeunes couples japonais. « Nous voyons cela comme l’occasion de nous ouvrir à des nouveaux venus par le biais d’une rencontre transculturelle radicale », explique Zachary Fleetwood, le doyen de la cathédrale. « Nous voyons que ces couples sont profondément émus et touchés par cette expérience, et nous le sommes aussi. »
Ces mariages de rêve, qui peuvent coûter de 2 750 à 5 800 dollars [entre 2 000 et 4 200 euros], n’ont rien d’officiel. Rares sont les Japonais qui peuvent faire état des quarante jours de résidence nécessaires pour se marier légalement en France ; la plupart arrivent de Tokyo par le vol de 6 h 30 quelques heures avant leur mariage. Ils s’unissent donc civilement au Japon puis se rendent dans les églises parisiennes pour une « bénédiction », une « célébration » ou une cérémonie d’action de grâce.
Les agences de tourisme nuptial sont des institutions au Japon. Hawaii reste leur destination phare, mais, depuis peu, les autorités de l’archipel du Pacifique s’inquiètent d’un ralentissement du marché du mariage. L’Europe et la partie continentale des Etats-Unis se taillent une petite part de ce tourisme nuptial, mais, dans son rapport annuel sur les lunes de miel et mariages à l’étranger, le ministère japonais de la Santé, du Travail et de la Protection sociale souligne que le Vieux Continent accueille désormais 2 % de ces cérémonies. Depuis un an, ce sont ainsi quelque 20 000 couples japonais qui ont organisé une célébration en Europe.
On trouve dans les catalogues des descriptions détaillées de châteaux français et suisses tout droit sortis de contes de fées et d’églises à Londres et Paris. Les forfaits comprennent aussi tous les accessoires incontournables du mariage : robe blanche, maquillage, coiffeur et même gants immaculés pour le marié.
Si certains couples vont à l’étranger, c’est parce que chez eux « il leur faut inviter tous leurs amis et leurs proches aux cérémonies », explique Akihiro Hayashi, analyste chez Ichiyoshi Research, une société de Tokyo qui suit les activités du numéro un du secteur, Watabe, et de son concurrent, Best Bridal. « Au Japon, ils doivent organiser pour toute la famille une grande fête qui leur coûte près de 30 000 dollars, alors que 10 000 dollars suffisent à couvrir le voyage et le mariage à l’étranger. »
A l’église américaine de Paris, si l’on refuse de préciser les tarifs pratiqués, on reconnaît que les recettes issues des mariages financent 15 % au budget d’exploitation de l’église et que les unions de Japonais représentent 80 % des cérémonies célébrées.
A Neuilly-sur-Seine, banlieue aisée de Paris, l’église adventiste marie des couples japonais presque tous les jours. Il y a plusieurs années, lorsque l’agence Watabe s’est rapprochée des autorités, les membres de l’Eglise adventiste de France se sont prononcés par un vote et ont approuvé à la majorité la tenue de « cérémonies de célébration ». Selon Bernard Cassard, le pasteur qui s’occupe de toutes les cérémonies, les membres de l’église ont vu là une forme d’évangélisation. Il reconnaît toutefois que l’Eglise adventiste du septième jour se montre plus stricte envers ses membres et refuse de célébrer des mariages entre adventistes et non-adventistes.
« C’est l’occasion pour nous de rencontrer des gens qui ne sont pas chrétiens, souligne Bernard Cassard après une cérémonie, assis dans le jardin verdoyant de l’église. Le principe de la célébration est de leur enseigner quelques éléments du christianisme. » Levant les yeux, le pasteur aperçoit le couple de jeunes mariés japonais, resplendissant, sortant de son église. Un photographe lui fait signe et, sans un mot, Bernard Cassard s’éclipse hors du champ.
Doreen Carvajal
The New York Times
source : courrierinternational.com