La reconstitution n’efface pas les questions
Ambroise Kohnu et son frère Antoine ont fait leur retour à l’île des Pins, mercredi, dans le cadre de l’instruction sur le meurtre d’une Japonaise retrouvée en 2002 sur le rocher de Kanumera. Ils nient mais sont les seuls suspects. Le transport, qui s’est achevé hier soir, a permis de comparer la réalité des lieux avec les pièces du dossier. Les frères Kohnu seront jugés aux assises avant la fin de l’année. En attendant, beaucoup de questions restent posées.
Que s’est-il passé ce jeudi 2 mai 2002, jour de la disparition de Miko Kusama ? Et qu’est-il vraiment arrivé entre cette date et lundi suivant, quand le corps mutilé et partiellement calciné de la touriste a été découvert sur le rocher de Kanumera ? Personne ne peut le dire à l’heure actuelle, faute d’aveux, de témoignage direct ou de preuve (toutes les analyses ADN ont été infructueuses). Et cela malgré trois années d’une instruction désastreuse et un supplément d’information de deux ans, demandé par le président de la cour d’assises, Christian Mésière. Avant le procès, qui sera inscrit au rôle des assises en novembre ou décembre, ce dernier s’est rendu sur les lieux, de mercredi à samedi, dans le cadre d’un transport sur place (lire l’encadré). Il était accompagné de l’avocat général (qui représente le ministère public), des avocats des deux parties et des suspects (lire ci-dessous). Tous ont vu dans ces trois jours une chance de renforcer leur interprétation du dossier à l’aune de la topographie des lieux. Notamment la parcelle située entre le rocher et le gîte de Kuberka où logeait la victime.
La piste de l’homme blanc
C’est là que tout avait commencé, le dimanche matin, quand la gérante du gîte a appelé la gendarmerie, voyant que sa cliente n’était pas rentrée de la nuit. « C’était une jolie fille, pas une personne ordinaire, se souvient-elle. Elle a commandé un sandwich le samedi matin, puis elle est partie se promener. À midi, elle est revenue pour manger son casse-croûte, et elle a commandé une douzaine d’escargots pour le soir. On ne l’a plus revue. (…) J’ai appelé les gendarmes le lendemain matin, ils m’ont dit : « On ne peut rien faire sans l’accord du chef [Hilarion Vendegou, NDLR]. Ils ont commencé les recherches le dimanche. » Tant bien que mal, les acteurs judiciaires ont reconstitué la dernière journée de Mika Kusama, mercredi. Du sandwich dégusté au bord de la piscine aux témoins qui l’ont aperçue à plusieurs reprises. Trois personnes avaient indiqué l’avoir vue en compagnie d’un homme blanc avec une coupe de cheveux au carré. La piste n’a jamais vraiment été explorée après l’arrestation des Kohnu. Quelqu’un l’a notamment vue accompagnée de la sorte à l’Igesa, le centre de vacances interarmées, où des dizaines de parachutistes passaient la semaine. Sur ce point, le transport sur place a révélé qu’un couple franco-japonais séjournait à la même période au gîte Nataiwatch. Ce qui met en doute au moins un des trois témoignages, qui parlait d’un couple marchant main dans la main à quelques pas du gîte en question. Mais il reste les deux autres qui, faute d’avoir été vérifiés au moment des faits, pourront être avancés par la défense, d’autant qu’ils ont été confirmés fermement cette semaine. Mais la zone d’ombre la plus manifeste reste la découverte du corps et des indices, qui ont eu lieu en plusieurs phases. En grimpant sur le rocher, les magistrats et les avocats l’ont vu de leurs yeux. La dépouille a été trouvée trois jours après l’heure présumée de la mort.
Morte sur le rocher ou transportée ?
À plusieurs reprises, les lieux avaient été ratissés de façon « méticuleuse », précise le dossier. Or le seul sentier passe à un mètre du lieu de la trouvaille, dans une configuration qui force le doute (voir la photo parue en une). La défense y voit la preuve d’un déplacement posthume incompatible avec un crime pulsionnel. L’accusation penche pour des recherches bâclées. En tout cas, les 60 millimètres de pluie tombés le dimanche ne peuvent pas tout expliquer. Et que dire de la fête d’anniversaire qui a eu lieu le soir du meurtre, sur la plage qui jouxte la gendarmerie toute proche ? Elle figure de manière évasive dans l’instruction, alors qu’« on peut tout à fait accéder au rocher sans être vu, de ce côté », martèle l’avocat de la défense, Jean-Jacques Deswarte. Là encore, le transport a permis de le constater, d’un simple regard. Enfin, une dernière piste a été soufflée aux avocats par un témoin. « Jean-Laurent (*) était parti fouiller le rocher, le dimanche, indique-t-il, pour l’avoir vu fréquemment à cette période. Quand il est redescendu, il était effrayé. Le lendemain, les garçons sont repartis chercher. Lui, il est resté assis, il ne voulait pas y aller. Je lui ai donné du café, pour l’encourager. Il m’a dit : « si j’y vais là, je la trouve, la Japonaise ». Après l’affaire, Jean-Laurent s’est mis à boire, avant de décéder dans un accident de la route. Mais cette partie sera sans doute évoquée au procès, puisque la reconstitution n’a pas permis de la démêler.
(*) Nom d’emprunt.
Reportage : Marc Baltzer
Source : info.lnc.nc