Dans le futur pays hôte du Mondial 2019, Nicolas Kraska, un ailier de 30 ans, est le seul Français du Championnat japonais de rugby. Au sein du club Toshiba Brave Lupus qu’il a rejoint en 2015, il nous raconte un dépaysement sportif et culturel radical.
Il a fallu près de six mois à Nicolas Kraska pour s’adapter aux codes de la vie nippone de son club de rugby, situé à Fuchû, dans la banlieue de Tôkyô. Après cinq années au Racing 92 où sa carrière de rugbyman professionnel a débuté, puis Albi (Pro D2) et Cognac (Fédérale 1, troisième division française), le jeune Français ne cesse d’apprendre la pratique du rugby à la japonaise et sa rigoureuse hiérarchie. Son envie d’aventure à des milliers de kilomètres de sa terre natale naît d’un « simple désir d’évasion » l’année de ses 24 ans. Après trois ans à Albi, en deuxième division où il avait fait une soixantaine de matchs, il ne se sentait plus vraiment à sa place, raconte-t-il. « Les relations avec le président s’étaient dégradées, il y avait des guerres internes et des problèmes financiers. Bref, la saison ne se passait pas très bien ». C’est dans ce contexte qu’il commence à envier ses amis qui faisaient alors l’expérience de la vie à l’étranger grâce à Erasmus. « Ça me faisait rêver. J’ai commencé à me renseigner sur le rugby hors de France, notamment en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Canada. Un ami m’a parlé du Japon et j’ai pensé que ce n’était pas une mauvaise idée. Je n’étais pas spécialement attiré par ce pays mais je recherchais le dépaysement avant tout ». C’est chose faite, après seulement quelques recherches sur le réseau professionnel LinkedIn et l’envoi de son CV, d’une vidéo et d’une lettre de motivation à une dizaine de clubs. Au Japon, où chacun des 16 clubs de Top League est dirigé par les plus grandes entreprises du pays, Toshiba est la seule à lui proposer de venir pour un test, qui s’avère rapidement positif. Ses origines thaïlandaises pour être référencé comme joueur asiatique plaident alors en sa faveur. Au Japon, les clubs fonctionnent en effet par quotas de joueurs étrangers. « C’était un bon concours de circonstances car le club recherchait justement un Asiatique non Japonais pour compléter leur équipe ». Quatre ans plus tard, Nicolas Kraska ne regrette pas d’avoir saisi cette opportunité.
Un jeu plus « jouissif » au Japon qu’en France
À l’occasion du mondial de 2019, il constate un engouement croissant des Japonais pour le rugby, en particulier depuis leur victoire contre l’Afrique du Sud. « La preuve, tous les billets ont déjà été vendus ! Il y a une véritable augmentation des fans, on le constate avec les nombreuses affiches dans le métro et des programmes de télévision dédiés », observe-t-il. Au sein de son club, avec ses coéquipiers et son nouveau rythme de vie, le jeune homme s’intègre bien. Les semaines passent et se ressemblent, avec quatre jours par semaine un lever à 7 h, un échauffement de 8 h 15 à 9 h, suivi d’une réunion et d’un entraînement jusqu’à 11 h 30. Après avoir avalé son déjeuner, il reprend l’entraînement à 14 h 30, suivi d’une heure de musculation et d’une heure de terrain. L’entraînement japonais privilégie le quantitatif au qualitatif et il exige de se consacrer plus longuement au sport. « Le rugby qui se pratique au Japon est particulièrement jouissif. En France, le jeu consiste surtout à du rentre-dedans, il faut juste être très costaud et aimer le duel. Au Japon, même si le jeu au pied constitue leur faiblesse, le jeu est beaucoup plus aéré et moins statique. Par exemple, à mon poste d’ailier je peux souvent toucher le ballon, ce qui n’est pas le cas en France », juge le rugbyman. « En Europe nous avons moins l’habitude des temps du jeu à dix ou douze phases ». Ainsi, pour la Coupe du monde à venir, suivant ces caractéristiques propres aux deux pays, ses pronostics sont déjà faits : « la France pourrait atteindre les quarts de finale mais cela risque d’être difficile contre l’Argentine et l’Angleterre. Je pense que nous allons terminer en troisième place ». Quant au Japon, « ils ne devraient pas facilement battre la Russie, mais grâce à un bon coup de poker, je les vois bien gagner contre l’Écosse ».
Une hiérarchie particulièrement stricte
Si son rythme de vie lui convient, de nombreuses barrières culturelles restent difficiles à franchir pour ce jeune Français : « c’est parfois très dur. La vie au club n’échappe pas au strict respect de la hiérarchie qui existe dans toutes les sphères de la société nippone », explique-t-il.
Au fondement de cette structure hiérarchisée, la relation senpai-kôhai (ainé-cadet) reste prédominante. « Il est interdit d’exprimer une opinion contraire à celle du coach, sous peine d’une sévère punition ». Ce respect de la hiérarchie, Nicolas Kraska l’a en effet durement appris à ses dépens : « le coach est le seul maître à bord. Comme j’étais le gaijin (étranger) avec le plus petit palmarès dans le club et que je suis le plus jeune, je servais de paratonnerre en prenant pour tout le monde. Si un de mes coéquipiers faisait une mauvaise passe ou faisait tomber un ballon, cela me retombait systématiquement dessus ». Jugeant ce traitement injuste, Nicolas Kraska a expliqué son désarroi au coach. Mais ses critiques lui ont valu une punition d’un an et demi, une période durant laquelle le joueur a été ignoré par son coach : « mon nom était omis pendant les entraînements, il me fallait toujours demander dans quelle équipe je devais jouer. Alors que j’avais les meilleures notes de l’équipe pour tous les matchs de pré-saison, je n’étais plus convié aux championnats », regrette-t-il. Son contrat prenant fin sous peu, Nicolas Kraska a résisté à l’envie de jouer dans un autre club au Japon « il est ici très mal-vu de rompre son contrat, sans compter que les managers de Toshiba voulaient que je reste ». Aujourd’hui, le rugbyman verrait bien poursuivre sa carrière aux États-Unis. Il envisage également un retour d’une année en France, où il est courtisé par de nombreux clubs. « Avec la coupe du monde au Japon, il n’y aura pas de championnat jusqu’en 2020, je pourrai donc y revenir après ». Son itinéraire dans l’archipel n’est donc pas prêt de s’arrêter.