Les sans-abri japonais lâchent prise et fuient leur famille. Ils sont de plus en plus jeunes et déboussolés
Son père a quitté le foyer quand elle avait 12 ans. Depuis, plus de nouvelles. Cette jeune femme se demande aujourd’hui ce qu’il est devenu. « Il a 55 ans aujourd’hui et j’espère qu’il va bien. Parfois je regarde le visage des sans-abri que je croise dans la rue pour voir si ce n’est pas lui. On ne sait jamais… ».
Cet homme a-t-il un emploi, un logement, une nouvelle famille ? Quand on parle des sans-abri japonais, ce type d’histoire revient fréquemment.
Un choc et… le décrochage
Ils ont la cinquantaine, doivent soutenir financièrement leur famille, vivent pour le travail et ne voient pas leurs enfants grandir. Un choc émotionnel, le chômage, une profonde déprime, l’alcool… et le décrochage. Ils s’enfuient le long d’une rivière ou dans un parc. Là, la vie reprend, différente, dure, mais non sans solidarités : en attestent les petites tentes bleues regroupées dans ces sites à l’écart du regard des autres.
Ce regard de l’autre est ici un fardeau lourd à porter. Le mot japonais pour désigner un sans-abri («kojiki») est d’ailleurs devenu tabou puisqu’il signifie « qui demande à manger ». Il a depuis été remplacé par le consensuel «homeless» («sans foyer») anglophone mais les mentalités restent ancrées : les sans-abri vivent de ce qu’on veut bien leur donner, s’il voulaient avoir un travail, ils en trouveraient, pense-t-on.
Pourtant, dans les faits, jamais un sans-abri ne fait la manche. Ils se lèvent tôt pour être les premiers à récolter des canettes vides en métal et les vendre à des prix cyniquement bas à l’industrie du recyclage. La misère, elle, est bien entretenue.
De plus en plus de jeunes dans la précarité
Depuis quelques années, les jeunes sont de plus en plus victimes de la précarité. Fin août 2007, le Japon comptait 5 000 jeunes réfugiés dans des cybercafés : en plus des ordinateurs, des douches, sofas et bandes dessinées encouragent les plus démunis à s’y installer quasi définitivement. Payant 25 € la nuit, repas compris, ces jeunes, souvent, travaillent.
Qu’advient-il de ceux que le grand public appelle NEET (Not educated, employed, trained), accusés de vivre au crochet de la société ?
Ils ne s’adaptent pas au système, qui de son côté ne voit aucune raison d’être revisité. Un jeune Japonais confie qu’après être sorti de l’université, il a eu envie de parcourir le monde. « Mais quand je suis rentré, j’ai éprouvé de grandes difficultés à trouver un emploi. J’étais trop sorti des clous. Alors j’ai créé ma propre société. » Ce jeune homme a le bagage pour s’en sortir, mais tous n’en ont pas la volonté ou les capacités.
Gilles DE LESDAIN
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