La future destruction du Kabuki-za navre les Japonais
La décision de détruire le Kabuki-za suscite des débats sur les motivations réelles de son propriétaire, Shochiku. Cette société spécialisée dans le divertissement a décidé de fermer, en avril 2010, ce théâtre de kabuki du quartier chic de Ginza, à Tokyo. Il sera reconstruit et rouvrira en 2013. Shochiku justifie son choix notamment par les inquiétudes sur la résistance sismique du bâtiment et une volonté d’améliorer l’accès pour les personnes handicapées.
Inscrit en 2002 sur la liste japonaise des biens culturels tangibles, le Kabuki-za sera détruit avec l’autorisation de l’Agence des affaires culturelles. Pendant les travaux, les représentations seront données à l’Enbujo du quartier de Shinbashi ou au Minami-za de Kyoto.
Le Kabuki-za a vu le jour en 1889. Son premier bâtiment a été détruit lors du tremblement de terre de 1923. Reconstruit sur les modèles architecturaux de la période Momoyama (1573-1603), le théâtre de 1800 places subit de nouvelles destructions en 1945 au moment des bombardements américains. Il rouvre ses portes en 1951 sous la même forme.
Sa destruction, alors que le bâtiment qui sortira de terre en 2013 reste une inconnue totale, ne fait pas l’unanimité. Beaucoup ont l’impression qu’une partie du patrimoine national est menacée. L’Institut japonais d’architecture a organisé une pétition appelant à la préservation du site. Pour cet organisme qui compte 35000membres, « le design actuel a contribué à transmettre la tradition et la culture du kabuki aux citoyens, même si le théâtre se trouve dans un quartier en perpétuelle modernisation ».
Théâtre populaire D’autres dénoncent une opération à simple visée commerciale, le kabuki étant l’une des activités les plus rentables de Shochiku. Ils font remarquer qu’il existe aujourd’hui des techniques pour améliorer la résistance sismique des bâtiments anciens, sans avoir à les détruire.
Outre l’aspect architectural, l’annonce de Shochiku a fait réagir les acteurs eux-mêmes. « C’est ma deuxième maison, a déclaré le président de l’Association japonaise des acteurs, Shikan Nakamura. J’y ai passé l’essentiel de ma carrière. » Ces débats reflètent la passion qui entoure un art dramatique imaginé au début du XVIIe siècle par la prêtresse shinto Okuni, dont la vie est mal connue.
Il semble qu’elle organisait à Kyoto des spectacles de chants et de danses, au fort contenu sensuel, voire érotique, dans lesquels elle n’hésitait pas à interpréter des rôles masculins. Interdite, cette forme vite populaire est reprise et jouée par des prostituées.
Mais le rigorisme moral du shogunat des Tokugawa l’amène à interdire ce kabuki originel en 1629, avant de bannir les femmes de scène en 1642. Depuis, le kabuki, dont les trois idéogrammes signifient « chant », « danse » et « technique » s’est codifié et a constitué un répertoire. En relatif déclin à la fin du XVIIIesiècle, il a retrouvé la faveur du public à l’ère Meiji (1868-1912), les autorités l’utilisant comme contrepoids à l’influence de la culture occidentale.
Philippe Mesmer
[LE Monde.fr->http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2008/12/26/la-future-destruction-du-kabuki-za-navre-les-japonais_1135479_3216.html]