A l’inverse des coins favoris de la jeunesse de Tokyo, Sugamo est le quartier branché des personnes âgées, attirées par une cuisine et une mode adaptées à la nombreuse population grisonnante du Japon.
Ce havre du nord de la capitale japonaise voit tous les week-ends débouler une foule compacte et joyeuse, à l’instar des arrondissements de Shibuya et Shinjuku rendus célèbres par la culture pop. Sauf qu’au lieu de talons aiguilles et coiffures multicolores, ce sont cannes et cheveux blancs à perte de vue.
Les multiples échoppes de Jizo, l’artère principale de Sugamo, rivalisent pour attirer la clientèle du troisième âge.
Ici, une boulangerie-pâtisserie promet des mets bons pour la santé. « Nos gâteaux ne contiennent aucun produit chimique et peu de sucre », assure Haruko Sugisawa, de la boutique Sugamoen.
Là, un troquet concocte une cuisine « comme à la maison » et ne désemplit pas. « Nos clients sont surtout des hommes seuls et âgés », explique Yuki Saito, tenancière du restaurant Tokiwa Shyokudo.
Mais l’attraction commerciale du quartier est un magasin de vêtements, immanquable pour le chaland: les habits en vitrine sont tous de couleur rouge.
« Depuis une quinzaine d’années, notre clientèle de vieilles dames nous demande du rouge », raconte Hideji Kudo, gérant du magasin Maruji.
Des praticiens de médecine orientale affirment que le port de sous-vêtements rouge réchauffe le corps, une hypothèse très contestée.
Selon une tradition japonaise distincte, offrir des habits rouge à un sexagénaire lui permet de conjurer le mauvais sort.
Les boutiquiers ont, quoi qu’il en soit, fait tisser une gamme complète: lingerie, pantalons, tuniques, bérets… d’une même couleur écarlate. Le succès est à ce point éclatant que des jeunes viennent désormais au magasin chercher un cadeau pour un aïeul.
Maruji bénéficie du vieillissement d’un pays où plus de 20% des 127 millions d’habitants a dépassé 65 ans, où quelque 6,8 millions de Japonais nés au coeur du « baby-boom » de 1947-1949 atteignent la soixantaine. Une clientèle potentielle gigantesque, mais exigeante.
« Les octogénaires achètent clairement des vêtements pour personnes âgées, mais les sexagénaires veulent des habits qui font +jeunes+, plus difficiles à dessiner », explique M. Kudo.
Jeunes retraités en pleine santé, désireux de profiter de leur nouveau temps libre, les clients du Maruji viennent de toute la région de Tokyo et parcourent parfois près d’une centaine de kilomètres pour arpenter Sugamo.
A l’origine de l’attrait du quartier, une statue du temple Kogan-ji, Togenuki, réputée pour guérir les douleurs de ceux qui la frottent.
« J’ai mal aux lombaires, j’espère me soulager en lavant Togenuki », explique Shizuko, une septuagénaire venue de Yokohama (région de Tokyo).
Superstitieuses, des personnes âgées ont tenté leur chance au Kogan-ji dès l’après-guerre.
Mais la notoriété de Sugamo remonte à une trentaine d’années, lorsqu’un journal l’a baptisé « le Harajuku des grands-mères », du nom d’un arrondissement de Tokyo où la jeunesse va s’habiller.
« Dès lors, les personnes âgées sont venues encore plus nombreuses », se rappelle Shigeru Yamanaka, 82 ans, propriétaire du magasin de chaussures Suzukiya situé sur la rue commerçante Jizo.
La foule est particulièrement nombreuse les 4, 14 et 24 de chaque mois, journées commerciales particulières en référence à la divinité du quartier.
Les seniors viennent seuls, entre amis… ou en amoureux. Selon la rumeur, il serait bon de faire l’amour à Sugamo pour garder la forme et des couples âgés fréquenteraient les « love hotels » du quartier.
[AFP->