Chanel, Gucci ou encore Louis Vuitton…, le scintillement des façades de l’opulent quartier de Ginza, à Tokyo, témoigne de la confiance du luxe mondial dans un marché japonais fidèle à ses ambassadeurs depuis des décennies. Pourtant, elles peinent à masquer leur inquiétude, tant les comportements des consommateurs nippons évoluent, et pas seulement en raison de la crise financière.
LVMH, le géant mondial de la mode, des cosmétiques et des vins et spiritueux, a vu ses ventes baisser de 7 % entre janvier et septembre dans l’Archipel, un marché qui représente 10 % de ses revenus (20 % pour sa seule activité mode et accessoires de cuir). Dans le reste de l’Asie, elles ont crû de 22 %. En Europe, de 9 %. Hermès et Bulgari ont vu leurs ventes au Japon progresser modestement de 1,5 % et de 3,8 % au premier semestre, contre respectivement 27,8 % et 7,5 % en Europe.
En cause, l’impact de la crise. L’institut de recherche JMR a constaté dans une étude réalisée en juillet que 93,4 % des personnes sondées ressentaient la hausse des prix et que 40,3 % prévoyaient de réduire leurs dépenses. En août, l’inflation a atteint 2,1 % sur un an alors que le salaire moyen a reculé de 0,3 % à 283 473 yens (2 326,7 euros). Or beaucoup de clients des marques de luxe sont des employés de grands groupes, souvent des « office ladies » dans la vingtaine, autrefois promptes à l’achat, aujourd’hui plus réservées.
L’effondrement des marchés financiers explique aussi la retenue des acheteurs. Les femmes actives célibataires et les nouveaux riches du secteur des technologies de l’information avaient profité de la forte appréciation du Nikkei, monté à plus de 18 200 points en juillet 2007, mais aujourd’hui à moins de 8 500 points. Les sorties du dimanche à Ginza restent prisées. Mais leurs adeptes viennent plus pour regarder que pour acheter. La baisse du nombre de touristes (- 6,9 % en septembre, à 641 500) et de leurs dépenses affecte aussi les ventes du luxe.
SE DÉMARQUER, LE DERNIER CRI
La relative morosité des affaires incite les entreprises du secteur à modifier leurs stratégies. La clientèle riche est courtisée, au travers de programmes de fidélisation et de services personnalisés. Louis Vuitton envoie des gâteaux d’anniversaire aux plus fidèles ou leur donne accès à des produits exclusifs.
La Chine et ses « super riches » suscitent aussi de grands espoirs. Patrick Albaladejo, vice-président exécutif chez Hermès, attend sur ce marché « une croissance solide dans les magasins existants ».
L’attrait pour ce pays en forte croissance laisse entrevoir un possible déplacement du centre de gravité du luxe en Asie. L’avenir ne se décline par forcément au Japon, d’autant que les consommateurs, moins attachés aux marques, y recherchent maintenant des produits qui les distinguent des autres. Cette évolution a fait le succès de l’américain Coach, qui propose des produits de qualité, moins chers que ceux des prestigieuses enseignes françaises ou italiennes.
Cette tendance explique aussi le succès des enseignes Zara, Uniqlo et plus récemment du suédois H&M. Ce groupe a ouvert son premier point de vente à Ginza le 13 septembre. 5 000 personnes se pressaient à l’ouverture et les files d’attente n’ont pas diminué depuis. Un autre magasin a été inauguré le 8 novembre, avec un succès identique, dans le quartier branché d’Harajuku. Il présente une collection de vêtements dessinés par Rei Kawakubo, styliste pour Comme des garçons. « Ces créations sont abordables pour ceux qui ne peuvent s’offrir des produits Comme des garçons », précisait le jour de l’ouverture Margareta van den Bosch, conseillère à la création de H&M.
Philippe Mesmer
[Lemonde.fr->www.lemonde.fr]