Grenoble (Isère) Envoyé spécial
Grenoble est redescendu de son nuage samedi 23 août, battu logiquement par l’Olympique lyonnais (2-0) lors de la 3e journée de championnat. Le promu – qui doit se contenter, pour son retour en première division après 46 ans d’absence, de l’un des plus petits budgets de Ligue 1 (25 millions d’euros, six fois moins que l’OL) – s’était offert le luxe d’occuper une semaine durant la tête du classement, attirant tous les regards sur le groupe entraîné par Mecha Bazdarevic. Une position de leader « anecdotique », ne cesse pourtant de répéter l’entraîneur franco-bosniaque, recruté en 2007 par le Grenoble Foot 38 (GF38). Son objectif est de maintenir le club en L1 la saison prochaine.
La belle entame du GF38 a perturbé les séances d’entraînement. Visite du député et maire Michel Destot, interviews avec les médias français mais aussi avec l’hebdomadaire Slobodna Bosna, qui a dépêché de Sarajevo deux journalistes pour couvrir l’événement… dans la seule journée du 21 août ! Le lendemain, c’est au tour de Kazutoshi Watanabe, le président du club, de venir saluer les joueurs. Car le GF38 est la première équipe de football français à vivre sous le contrôle d’une entreprise nippone, Index Holdings, une société de services pour téléphones portables, propriétaire de 99 % des actions du club.
Au centre de la pelouse, le président tokyoïte improvise un discours en japonais. Masare Sumiyoshi, un autre membre du staff, assure la traduction. « Le président s’excuse de ne pas être venu plus tôt, mais il tenait à assister au derby contre Lyon. Il vous souhaite de faire du bon foot », explique en substance l’assistant. Peu de chance que ces encouragements suffisent à dissiper le malaise qui s’est fait jour ces derniers mois dans les rangs isérois. Si l’équipe savoure son nouveau statut parmi l’élite, elle s’interroge aussi sur son destin au sein d’une entreprise dont elle ne perçoit pas le projet économique ni son volet sportif.
« L’an dernier, à huit reprises, nous avons fait le plein au stade des Alpes (20 000 places). Je pensais que cela ferait bouger les choses, mais non, cela n’a pas suffi à convaincre nos dirigeants de mettre plus d’argent sur la table », constate Mecha Bazdarevic. « Cela fait un an et demi que je suis ici. On me parle de projet, je ne vois toujours rien venir », ajoute l’entraîneur. « Le management japonais n’est pas un problème en soi, mais c’est vrai, il reste beaucoup de boulot à faire », confirme le gardien Grégory Wimbée, le doyen du GF38.
PAS DE MODÈLE CAPITALISTE
La montée en Ligue 1 aurait-elle pris de court les actionnaires japonais de Grenoble ? Dans le plan de marche fixé par Index début 2005, au lendemain du rachat du club, l’entreprise tablait sur « une montée dans les trois ans en Ligue 1 et une victoire dans les dix ans en Ligue des champions », affirme en japonais le manageur général Hidetaka Ubagaï. Lui non plus ne parle ni français ni anglais. « Le maintien en L1 est la priorité de la saison », répète le dirigeant. Pas besoin d’argent frais pour y parvenir, assure le manageur. « Nous ne voulons pas du modèle capitaliste dans lequel tout peut s’acheter avec de l’argent, y compris les stars du foot. Nous préférons miser sur la stabilité et la solidité de notre équipe » clame M. Ubagaï. Ce discours de circonstances dissimule une réalité moins souriante. « Début 2006, une action d’Index valait 250 000 yens (1 540 euros), aujourd’hui elle est cotée 10 000 yens (62 euros) », explique Pierre Mazé, président-délégué du club jusqu’au 29 juillet. « L’attentisme actuel s’explique par les difficultés financières d’Index, or pour asseoir un club en L1, il n’y a pas de secret, il faut y investir beaucoup d’argent », estime l’ex-relais français d’Index.
Une ouverture du capital à des actionnaires locaux minoritaires aurait pu résoudre cette crise de liquidités, mais la direction du GF38 s’y est opposée fin mai, explique M. Mazé. Index était notamment échaudée par les requêtes de la DNCG, l’organe financier de la Ligue, qui sommait la compagnie de combler le déficit d’exploitation du club pour valider sa montée en L1. « Le succès actuel du GF38 n’est qu’un feu de paille », insiste Pierre Mazé, persuadé que « le club a besoin d’un rééquilibrage entre sa structure japonaise et française ». Mi-septembre, Pierre Wantiez, l’ex-directeur administratif de Sochaux, doit rejoindre Grenoble. A défaut de renfort sur le terrain, le club se structure, pourra se consoler l’entraîneur des Isérois.
Simon Roger
lemonde.fr