TOKYO — A l’heure où les bars éteignent leurs néons dans le quartier de Ginza, la journée commence au marché voisin de Tsukiji, au son de la cloche annonçant dès l’aube les premières ventes à la criée de thons.
Réunis dans un vieil entrepôt du plus grand marché aux poissons du monde — Tsukiji, sur la baie de Tokyo, est grand comme 40 stades de football — des adjudicateurs égrènent les enchères d’une voix forte, attribuant au plus offrant des centaines de thons frais et congelés.
A côté, des poissonniers armés de couteaux longs comme des sabres découpent avec précision des tranches de viande rouge, alors que des chariots se croisent dans un ballet incessant le long des allées étroites.
Chaque jour, le célèbre marché livre plus de 2.000 tonnes de poissons et coquillages, de 500 variétés différentes, aux dizaines de milliers de restaurants de sushi, de sashimi et aux commerces du grand Tokyo. Mais ses énormes thons rouges, qui font le délice des gourmets japonais et la joie des touristes étrangers, pourraient un jour disparaître des étals.
La décision sera prise lors de la réunion qui se tient à Doha jusqu’au 25 mars, de la CITES, l’organisation affiliée à l’ONU chargée de la protection des espèces en danger.
Une interdiction du commerce du thon rouge pêché dans l’Atlantique et en Méditerranée pourrait bien être votée à cette occasion, si les deux tiers des membres présents suivent la recommandation des Etats-Unis et de l’Union européenne.
« Je ne peux imaginer des sushi sans thon », déclare Ayaka Mimura, une étudiante de 21 ans, rencontrée sur le marché de Tsukiji. « Bien sûr que je suis contre la surpêche. Mais une interdiction soudaine et totale, ça me dérange. On mange juste du poisson comme d’autres mangent du boeuf », proteste-t-elle.
Le Japon, qui consomme les trois quarts du thon rouge pêché dans le monde, juge trop sévère une interdiction du commerce international et n’écarte pas la possibilité de s’y soustraire si elle est décrétée.
« C’est tout à fait injuste de traiter les thons comme on le fait pour les lions, les tigres et les éléphants », réplique Yuichiro Harada, un responsable d’un groupe d’influence prônant une pêche « responsable ».
« Contrairement à ces espèces, le thon peut porter des centaines de millions d’oeufs et est reconnu internationalement comme un produit d’alimentation commercial », souligne-t-il.
Le thon rouge, connu sous le nom de « kuro maguro » (thon noir) en japonais, est le plus grand des thonidés et très apprécié par les amateurs de sushi et sashimi.
Un sushi d' »otoro », la partie la plus grasse du ventre du poisson, peut atteindre 2.000 yens (16 euros) dans certains restaurants de luxe de Tokyo.
Le gouvernement japonais se veut rassurant et affirme que même en cas d’interdiction, le thon ne disparaîtra pas du jour au lendemain des comptoirs.
Quelque 20.000 tonnes de thon rouge congelé sont stockées dans l’archipel et 25.000 tonnes sont capturées chaque année dans le Pacifique, contre 19.000 tonnes importées annuellement d’Atlantique.
L’Agence des pêcheries craint toutefois que l’interdiction s’étende aux autres zones de pêche.
« Nous ne sommes pas optimistes sur cette réunion », confie Hisashi Endo, un des responsable de l’Agence. « Nous avons peur que ses décisions soient ensuite appliquées au Pacifique et à d’autres océans ».
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