Le ferry traverse en dix minutes un bras de mer. Quelques encablures séparent Miyaguchi, ancré dans l’île principale de Honshû sur le littoral de la préfecture d’Hiroshima, de Miyajima. Les passagers regardent du pont l’île tant attendue et surtout son célèbre et superbe O torii (portique sacré) en bois de camphrier de couleur rouge écarlate, un vermillon tranchant, planté sur les flots bleus de la mer Intérieure du Japon.
Ses lignes équilibrées apparaissent comme un idéogramme en trois dimensions. Les pieds dans l’eau, le monumental portail marque l’entrée du sanctuaire d’Itsukushima-jinja. Une image d’un Japon sacralisé qui fut reprise en 2008 sur les affiches de campagne de promotion touristique mettant face à face le {O torii} de Miyajima et le Mont-Saint-Michel, après avoir fait maintes fois les couvertures de guides touristiques. Les groupes débarquent sur le ponton et se succèdent car nous sommes sur l’un des sites historiques les plus célèbres de l’archipel nippon.
Après les boutiques de souvenirs et les restaurants proposant des plats locaux dont les anguilles de mer grillées et les huîtres panées, à quelques trois cents mètres de l’embarcadère, pins et lanternes de pierre bornent le chemin qui mène au sanctuaire d’Itsukushima-jinja.
Ici, comme à Nara, l’ancienne capitale impériale avant son déménagement à Kyoto, les biches et les daims circulent librement. Parfois, les cervidés en quête de nourriture harcèlent les passants. Il est donc conseiller de surveiller ses effets personnels, sans parler des singes plus haut dans la montagne qui ont pour jeu favori le vol en bandes organisées.
Avant de fouler Itsukushima-jinja, un haut lieu sacré du shintoïsme, les visiteurs, à Miyajima comme dans tous les sanctuaires, se lavent les mains et se rincent la bouche à l’aide de longues louches de bois. L’eau qui coule demeure un élément primordial dans la tradition shintô car l’importance est de ne jamais être souillé, d’où ce rituel de purification.
Mais qu’est-ce que l’esprit du shintô ? Religion originelle du Japon, le shintoïsme n’a pas de fondateur. Il n’y a ni dogme, ni code moral. Cette croyance animiste et chamaniste, antérieure à l’introduction du bouddhisme au VIe siècle, ne trace pas de frontière nette entre le sacré et le profane. Peu codifiée et peu théorisée, elle n’explique pas le monde. Le shintô vénère les forces célestes, terrestres et maritimes. Ses origines sont immémoriales. Selon les récits mythiques, la déesse Izanami et le dieu Izanagi seraient le couple céleste qui donna naissance à l’archipel. Amaterasu, déesse du soleil, serait l’ancêtre de l’empereur lui-même.
Au-delà du mythe, le shinto tend à rendre harmonieux les relations des êtres humains avec la nature et les kami. Littéralement, kami signifie “ce qui est au-dessus des hommes” ou “supérieur à la condition humaine”, souvent ce terme est traduit par “divinité” ou “esprit”.
Omniprésents, ces gardiens tutélaires séjournent sur une montagne, protègent une forêt, séjournent sous une cascade, demeurent sous une roche ; ils vivent dans les arbres, les pierres, le fond de la mer et les mouvements de l’air. Les films d’animation de Hayao Miyazaki, l’auteur de Mon voisin Totoro, de Princesse Mononoké et du Voyage de Chihiro, ont révélé au monde entier l’esprit du shintô. Ce culte archaïque déifie en premier lieu les éléments de la nature, même si des ancêtres ou des héros valeureux peuvent, après leur mort, être considérés comme kami. Les Japonais honorent les kami plus qu’ils ne les adorent. La tradition en recense un nombre infini. Pour se concilier avec l’un d’eux, possesseur d’un territoire, et s’assurer de ses faveurs, les fidèles lui érigent une demeure, un autel pour lui rendre un culte et lui faire des offrandes afin d’obtenir sa protection.
A Itsukushima-jinja, devant l’autel des différents pavillons, chacun pratique un rituel immuable : après s’être incliné deux fois, il est d’usage de frapper à deux reprises ses paumes, puis de joindre ses mains à hauteur de visage, de s’incliner et de se recueillir avant une dernière salutation. Les divinités shintô sont ainsi remerciées.
Trait d’union entre la mer et la montagne, le site extrêmement impressionnant trouverait ses origines en l’an 811. Au fil des incendies et des blessures du temps, furent effectuées plusieurs restaurations et aménagements avant une reconstruction en 1875. Niché au creux d’une petite baie, le sanctuaire d’Itsukushima- jinja, posé sur des milliers de pilotis enfoncés dans un sable gris, se compose de pavillons de bois reliés les uns aux autres par une série de coursives couvertes et possède une scène abritée datant de la fin du XVIe siècle pour des cérémonies, des représentations de théâtre nô (forme scénique classique montrant l’impermanence des pensées et des sentiments) et de bugaku (danses et musiques de cour traditionnelles).
Le pavillon principal est dédié aux trois filles de Susanoo, un “kami impétueux” et important dans la mythologie shintô. Princesses divines, elles protègent les pêcheurs, les navires et les routes maritimes. Le seigneur Taira no Kiyomori (1118-1181), le chef d’un puissant clan guerrier, fit de cette aire sacrée son sanctuaire familial.
À marée haute, l’ensemble architectural dans son entier paraît flotter sur la mer. La nuit à la lueur de la lune, ce sanctuaire lacustre livre sa profonde beauté. Une fois le dernier bateau parti, les édifices illuminés invitent à la méditation. Aux alentours, des jeunes se retrouvent. Des couples flirtent discrètement sous une voûte étoilée. L’île où cohabitent les divinités et les hommes dégage une sérénité apaisante particulièrement quand le soleil est passé de l’autre côté de l’horizon.
Dominée par le mont Misen (590 m.) couvert d’épaisses forêts et accessible en téléphérique, l’île de Miyajima, connue dans tout le Japon pour ses pins, ses érables en flammes rouges aux heures automnales et ses cerisiers en fleur au printemps, matérialise le pacte entre l’homme et la nature. Une nature sanctifiée accessible notamment au-dessus d’Itsukushima-jinja. Des sentiers de promenade des plus agréables dans le parc de Momijidani (la vallée aux érables) s’offrent aux marcheurs. Avant la restauration Meiji (1868-1912), le caractère sacré de l’île interdisait aux hommes et aux femmes d’y naître et d’y mourir et même d’y cultiver les terres, d’y arracher un arbre ou de tuer un animal.
Donc point de cimetière ni de maternité ! Certes le sanctuaire est shintô mais la spiritualité bouddhique n’est pas absente. Deux temples consacrés à l’enseignement de l’Eveillé protègent latéralement le sanctuaire. A son retour de Chine en 806, le moine Kûkai (774- 835), “grand maître qui propage la Loi” et fondateur de l’école shingon – un bouddhisme ésotérique japonais, proche des rituels tantriques indiens, prôné particulièrement à Koyasan, une montagne sacrée sur la péninsule de Kii, au sud d’Osaka –, séjourna en ces lieux.
Temples bouddhiques et sanctuaires shintô émaillent l’île d’une superficie d’une trentaine de kilomètres carrés. Avant de repartir vers Hiroshima, la ville martyre, un dernier regard se pose sur le grand portail protégeant le sanctuaire des influences maléfiques…
[Copyright 2010 : LeMonde.fr – Jean-Luc Toula-Breysse->http://www.lemonde.fr/voyage/article/2010/12/09/l-ile-de-miyajima-aux-rives-du-shintoisme_1451453_3546.html]
{{{Syncrétisme}}}
{“Quand il naît et se marie le Japonais est shintoïste, quand il meurt, il est bouddhiste.” Les habitants de l’archipel peuvent pratiquer successivement ou simultanément deux ou plusieurs religions.
Le bouddhisme et les divinités shinto se fondent dans un syncrétisme qui ne heurte personne. Les Japonais se remettent au Bouddha comme à la protection des kami, les divinités et esprits du shintoïsme.
Il n’existe pas un bouddhisme japonais ni un unique shinto mais une somme d’écoles et de courants, de rituels et de traditions.}
{{{Y ALLER}}}
De Tokyo en train, il faut compter trois heures et cinquante minutes en Shinkansen pour rejoindre la gare JR d’Hiroshima. De là prendre la ligne principale de Sanyo, arrêt à la gare JR Miyajimaguchi, puis prendre le ferry jusqu’à Miyajima.
{{{ADRESSE UTILE}}}
Association touristique de Miyajima
Tél. 08 29 44 2011
www.miyajima.or.jp
{{{DORMIR, MANGER}}}
Plus que centenaire, le ryokan Iwaso est une adresse élégante et réputée.
Momijidani Miyajima Hatsukaichi Hiroshima 739-0522
Tél. 81 829 44 22 33 www.iwaso.com (site en anglais et en japonais).