Par Geneviève Brunet
Déflation. Entre 1990 et 2002, l’économie japonaise subit plusieurs récessions, des baisses de prix et d’énormes dépréciations d’actifs dans les banques.
«Déflation à la japonaise.» Un spectre qui hante les esprits en cet an II de la crise des subprimes. Et pour cause: l’éclatement, au début de 1990, de la bulle immobilière et boursière, qui avait amené le prix du foncier de la ville de Tokyo au-dessus de celui de toute la Californie et les actions nippones jusqu’à des PER (ratio cours/bénéfices) surréalistes de 60, a provoqué un véritable séisme dans la deuxième économie mondiale.
Le Nikkei – principal indice de la Bourse nippone – se traîne encore, près de vingt ans après le début de sa dégringolade, à moins de 13000 points, soit à peine un tiers de sa valeur record atteinte le 29 décembre 1989 à 38957,44 points. Les Japonais ayant investi au plus haut ont appris à leurs dépens que l’axiome affirmant qu’à long terme un investissement en actions est plus rentable que des obligations et, a fortiori, un placement monétaire, est loin d’être pertinent en tout lieu et toutes circonstances…
Habitué depuis l’immédiat après-guerre à une solide croissance alimentée par une forte capacité d’épargne et d’investissement, le Japon des années 80 est depuis plus d’une décennie la deuxième économie de la planète. Il a bien résisté aux chocs pétroliers et la concurrence des petits dragons asiatiques n’a pas encore affaibli ses entreprises d’exportation qui lui procurent, année après année, de confortables excédents commerciaux. Les Japonais détiennent une bonne part de leur épargne en dollars, pour profiter de la différence de rémunération entre le billet vert et le yen. Les grandes entreprises nippones garantissent encore l’emploi à vie, les banques prêtent volontiers et le cercle vertueux de la prospérité semble durable.
Montée du yen. Ombre au tableau: les revendications
des partenaires commerciaux – notamment les Etats-Unis – qui plaident pour une croissance nippone moins dépendante des exportations et une revalorisation du yen. Discours tenu à l’identique aujourd’hui à une Chine peu pressée d’ouvrir réellement son marché intérieur aux vents de la concurrence et de laisser s’apprécier sa devise…
Lors d’une réunion tenue en septembre 1985 à l’Hôtel Plaza de New York; les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la France tombent d’accord pour faire baisser la valeur du dollar face au yen et au deutsche mark. Ce sont les fameux Accords du Plaza. Dans la foulée, le yen monte effectivement et les entreprises exportatrices nippones perdent de la compétitivité.
Soucieux de préserver la valeur de leur épargne, les Japonais se défont de leurs placements en dollars et rapatrient leur argent. Pour éviter l’effet récessif de la revalorisation du yen, la Banque du Japon baisse plusieurs fois le taux d’escompte en quelques mois, favorisant les emprunts des entreprises et des particuliers. Argent rapatrié et emprunts contribuent à gonfler une bulle déjà en formation à la Bourse et sur l‘immobilier. En décembre 1989, certaines actions s’échangent à un PER de 60 et la valeur du terrain est devenue quatre fois plus chère qu’aux Etats-Unis…
Souhaitant éviter l’emballement, la Banque du Japon relève le taux d’escompte à plusieurs reprises à compter de mai 1989.
Conjuguée à la hausse des taux longs, cela donne un coup d’arrêt à la spéculation. Le Nikkei perd 40% en moins d’un an et l’immobilier s’effondre. C’est le début d’une spirale à la baisse. Dans un premier temps, le crédit reste facile, mais la majorité des entreprises, surendettées, boudent l’emprunt. Elles hésitent toutefois à réduire leurs effectifs. Le modèle collectif limite leurs capacités d’adaptation à la concurrence mondiale. Les ménages restreignent leurs dépenses, tandis que les banques, confrontées à la montée des crédits douteux, freinent le crédit. Les prix baissent, alimentant l’attentisme. D’énormes plans de soutien au secteur bancaire et la politique du taux zéro décidée par la Banque du Japon en 1999 limiteront le nombre de faillites d’établissements
financiers. Le pays mettra toutefois plus de dix ans à se rétablir de cette crise.
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