Curieux croisement entre manga culinaire et manga historique, Le chef de Nobunaga (信長のシェフ) est une plongée bien orchestrée dans l’ère Sengoku.

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Souvent réduite au rôle de décor, l’Histoire occupe une véritable place dans ce seinen de Mitsuru Nishimura 西村ミツル et Takuro Kajikawa 梶川卓郎, publié en français chez Komikku (5 tomes à ce jour, 12 tomes au Japon). Quant à la cuisine, elle est loin d’être un simple prétexte. Mitsuru Nishimura lui confère le rôle inédit d’arme diplomatique.

Voyage dans le temps

Mitsuru Nishimura ne s’embarrasse pas d’un quelconque prétexte pour parachuter son personnage principal, un cuistot de l’ère Heisei, dans l’univers tumultueux de l’ère Sengoku. L’incipit du manga est plutôt brutal : sans que l’on sache pourquoi, le dénommé Ken se trouve brutalement plongé en pleine guerre civile. Les malheureux qui l’accompagnent dans cette traversée du temps sont immédiatement supprimés. Quant à notre héros, une amnésie bienvenue le débarrasse de tous ses souvenirs personnels : seuls lui restent son talent de cuisinier et ses connaissances historiques. On obtient ainsi un personnage sans nostalgie superflue, capable de jouer de ses connaissances pour survivre, à la fois acteur et spectateur d’une histoire dont il connaît les principales péripéties (imaginez-vous assister à la bataille de Waterloo aux côtés de Napoléon). Ici, pas d’allers et retours dans le temps comme dans Thermae Romae. J’ignore si les prochains volumes nous en diront plus sur le passé de Ken et sur ses chances de retourner dans son époque, mais pour l’instant, ce n’est pas le sujet.

Fascinant Nobunaga

Le sujet, c’est Oda Nobunaga, dont j’ai abondamment parlé ici et là. Le manga reflète la fascination que les Japonais semblent éprouver pour ce chef militaire, malgré sa réputation de despote (quel homme de pouvoir ne l’est pas à cette époque?). Le dessin Takuro Kajikawa confère à l’homme une stature et une puissance qui ridiculisent ses successeurs, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, traités sur un mode plus comique. Nobunaga apparaît, non sans une certaine grandiloquence, comme celui qui ouvre le chemin vers l’avenir, celui d’un Japon unifié et fort. Mitsuru Nishimura souligne aussi son ouverture d’esprit (face aux missionnaires portugais), sa violence et surtout son implacable utilitarisme : pour Nobunaga, une vie ne vaut que si elle lui est utile. C’est pourquoi Ken et ses talents culinaires retiennent son intention. Si la fiction se mêle à l’Histoire tout au long du récit, Mitsuru Nishimura a l’habileté de ne pas altérer le déroulement des événements et de respecter le caractère des principaux protagonistes.

Gastronomie et diplomatie

Pour parodier Clausewitz, on peut dire que la cuisine est ici la « continuation de la politique par d’autres moyens ». Si Ken tombe au beau milieu des guerres civiles comme un cheveu sur la soupe, Mitsuru Nishimura intègre parfaitement les questions culinaires à l’univers martial de Nobunaga. La cuisine de Ken sert à ravigorer des troupes épuisées mais surtout à révéler la personnalité des adversaires, à séduire, ou à déclarer la guerre, en jouant à la fois sur le goût et sur la symbolique des plats. C’est aussi pour le lecteur curieux l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire culinaire du Japon.
Le Chef de Nobunaga devrait donc ravir les amateurs d’histoire et de cuisine japonaise, et permettre à ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un personnage clé de l’unification du Japon.

Écrit par Élisabeth de Sukinanihongo

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