, Le gouvernement japonais fait passer en force une loi pour permettre le soutien naval à l’occupation de l’Afghanistan

Vendredi dernier, le premier ministre japonais Yasuo Fukuda a utilisé la majorité de deux tiers détenue par son gouvernement à la chambre basse du Parlement pour faire passer en force une loi qui relance le ravitaillement japonais par voie maritime de l’occupation américaine en Afghanistan. Ce vote n’a pas fait que contrer la chambre haute contrôlée par l’opposition, il a aussi ignoré le sentiment, largement répandu dans la population japonaise, d’opposition à la « guerre contre le terrorisme ».

Par Peter Symonds

La mission navale a été arrêtée subitement le 1er novembre quand Fukuda n’avait pas réussi à renouveler la loi « antiterroriste » spéciale votée en 2001 pour contourner la prétendue clause pacifiste de la constitution du pays. Le premier ministre de l’époque Junichiro Koizumi était un partisan enthousiaste de la guerre globale de Bush contre le terrorisme qu’il voyait comme un moyen de mettre fin aux restrictions constitutionnelles des pouvoirs de l’armée et pour faire avancer ses propres plans pour une affirmation plus agressive des intérêts japonais en Asie et internationalement.

L’engagement des forces japonaises par Koizumi pour soutenir l’occupation américaine de l’Afghanistan, et plus encore de l’Irak, avait provoqué une large opposition et joué un rôle significatif dans l’échec politique de son successeur immédiat, Shinzo Abe. Abe avait démissionné précipitamment en septembre dernier à la suite d’une défaite catastrophique du Parti libéral démocrate (LDP) aux élections à la chambre haute, ainsi que de scandales et d’une hostilité envers les effets de la politique économique rétrograde du gouvernement. La cause directe de la démission d’Abe avait été le refus du parti d’opposition, le Parti démocratique du Japon (DPJ), de renouveler la loi antiterroriste.

Fukuda, politicien et ministre du LDP de longue date, fut installé au poste de premier ministre dans une tentative de sauver le gouvernement. Il décrit son ministère comme un cabinet « vaincre ou mourir », prévenant que s’il échouait, le LDP serait écarté du pouvoir. Tous les efforts pour parvenir à un compromis avec le DJP en ce qui concerne la loi antiterroriste, dont une proposition de former un gouvernement d’unité nationale, ont échoué et la loi a expiré.

L’administration Bush a exercé une pression considérable sur le Japon pour que ce dernier renouvelle cette mission navale. Bien que l’aide militaire en question soit limitée, la mission indiquait la poursuite de l’engagement de Tokyo en faveur de la frauduleuse guerre « contre le terrorisme » après que les troupes japonaises aient été retirées d’Irak en 2006. Si le Japon mettait aussi fin à son soutien de l’occupation de l’Afghanistan, cela minerait les efforts des Américains à pousser leurs alliés européens à jouer un rôle militaire plus actif en Afghanistan.

Le gouvernement a convoqué une session extraordinaire de la Diète et a présenté une nouvelle loi qui a été adoptée par la chambre basse le 13 novembre. Quelques jours plus tard, Fukuda s’est envolé pour Washington où il a réaffirmé que les États-Unis restaient « le seul et unique allié » du Japon. Il a déclaré aux reporters : « J’ai dit au président Bush que je ferais tous les efforts possibles pour parvenir à une promulgation rapide de la loi afin que la mission de ravitaillement naval du Japon dans l’Océan Indien puisse reprendre aussi tôt que possible, nous ne devrions jamais permettre à l’Afghanistan de devenir à nouveau un ferment pour le terrorisme. »

Devant faire face à l’opposition ininterrompue de la part du DJP à la chambre haute, Fukuda a eu recours à des mesures drastiques pour promulguer la loi. Le gouvernement a utilisé sa majorité à la chambre basse pour prolonger la session extraordinaire de la Diète par deux fois jusqu’à la limite maximale autorisée, forçant le parlement à siéger tout au long de la période de Noël et du Nouvel An pour la première fois depuis 14 ans. Le gouvernement a ensuite invoqué l’article 59 de la constitution, qui autorise une majorité des deux tiers à passer outre la chambre haute si elle rejette une proposition de loi ou ne procède pas à un vote dans les 60 jours. Avec la limite des 60 jours sur le point d’expirer, un comité de la chambre haute a voté contre la loi le 10 janvier et le gouvernement a fait annuler le vote le lendemain.

L’utilisation de l’article 59 par le gouvernement était une première depuis 1951. Le caractère quasi sans précédent de l’action du gouvernement s’explique par l’équilibre inhabituel des forces au parlement : le LPD contrôle la chambre basse avec une large majorité, mais est confronté à une chambre haute hostile depuis sa défaite électorale de l’année dernière. En même temps, l’utilisation de ce mécanisme est un signe de tensions sociales et politiques qui prennent de l’ampleur, puisqu’elle constitue la fin de la politique de consensus japonaise qui avait prévalu pendant la plus grande partie de l’après-guerre.

Le DJP, qui est pour l’essentiel un amalgame de factions du LDP qui ont rompu avec le parti au cours des années 90, n’a aucun désaccord fondamental avec le gouvernement. En revanche, il cherche à capitaliser sur l’hostilité au militarisme américain et la colère contre les effets sociaux des programmes de restructuration économique du gouvernement. Les démocrates ne se sont pas opposés à l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis en tant que telle, ni n’ont exclu un soutien militaire japonais, mais ont insisté sur le fait qu’il fallait une autorisation des Nations Unies et ont accusé le gouvernement de suivre aveuglément Washington.

Dans un débat télévisé avec Fukuda la semaine dernière, Ichiro Ozawa, dirigeant du DJP, a accusé le gouvernement de ne pas avoir établi de règles claires pour l’envoi de troupes japonaises à l’étranger. « Compte tenu du passé du pays, la décision ne doit pas être laissée aux pouvoirs en place du moment. Cela pourrait fourvoyer notre nation », a-t-il dit. La vague référence au « passé de notre pays » fait intentionnellement appel à l’aversion profondément ressentie envers la guerre, engendrée par l’histoire du militarisme japonais dans les années 30 et 40.

L’envoi de troupes japonaises en Irak par Koizumi – le premier dans une zone de guerre à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale – avait provoqué des protestations. Bien que le LDP ait tenté de justifier l’occupation américaine de l’Afghanistan comme faisant partie de la « guerre contre le terrorisme », elle est aussi profondément impopulaire. Un sondage de Kyodo News a révélé que 44,1 pour cent des sondés soutenaient la loi antiterroriste, mais que 43,9 pour cent y étaient opposés. Le même sondage a aussi révélé une nette division sur l’utilisation de l’article 59 pour faire passer la loi – 6,7 pour cent étaient en faveur, mais 41,6 pour cent déclaraient que c’était inapproprié.

Yoshito Sengoku, parlementaire du DPJ a déclaré au Washington Post : « C’est un abus de pouvoir manifeste. Le gouvernement va certainement perdre la confiance du peuple maintenant. » Pourtant, les partis d’opposition n’ont pas, jusqu’à présent, utilisé leur majorité à la chambre haute pour faire passer une motion de défiance envers le gouvernement. Selon la constitution, une telle motion ne forcerait pas le gouvernement à dissoudre la chambre basse et à organiser de nouvelles élections, mais elle augmenterait la pression qui pèse sur Fukuda pour le faire.

Le refus du DPJ de pousser la contestation plus loin démontre que ses désaccords avec le gouvernement sont d’ordre tactique. Tout en prônant une politique étrangère plus indépendante, le parti d’opposition n’est pas opposé à l’alliance militaire américano-japonaise et ne veut pas s’aliéner Washington. Le DJP se focalise actuellement sur la session budgétaire au parlement qui a commencé le 18 janvier, il demande des réductions des taxes pétrolières. Le secrétaire général du DJP, Yukio Hatoyama a déclaré dimanche sur Fuji TV, « C’est un thème majeur pour forcer une élection anticipée. C’est directement lié à la vie des gens et nous sommes résolus à ne pas faire un seul pas en arrière. »

Le budget en lui-même ne requiert que l’approbation de la chambre basse, mais divers textes supplémentaires doivent aussi être votés par la chambre haute. Ces mesures doivent également être adoptées avant le 1er avril, début de l’année fiscale japonaise. En conséquence, la confrontation sur la loi antiterroriste pourrait se reproduire pendant la session budgétaire et pourrait forcer à anticiper les élections qui ne sont en principe pas prévues avant septembre 2009.

Le LDP est déterminé à ne pas procéder à une élection à la chambre basse aussi longtemps que possible. Le soutien au cabinet Fukuda a chuté depuis son installation en septembre dernier. Un sondage de Nikkei à la mi-décembre montrait un taux d’approbation de 43 pour cent, en baisse de 12 points depuis novembre, et la désapprobation à 46 pour cent. Un document politique présenté à une convention du LDP le 17 janvier décrivait la situation comme la pire crise dans l’histoire du parti. Fukuda a déclaré aux délégués : « Je suis tristement conscient du fait que vous devez tous ressentir quotidiennement le manque de confiance des électeurs envers la politique et leur mécontentement envers le LDP. »

Le premier ministre a laissé entendre qu’il pourrait décider d’une élection après avoir accueilli le sommet annuel du G-8, qui doit avoir lieu début juin dans la station balnéaire du Lac Toya. Au lieu de résoudre le blocage politique entre les chambres haute et basse, une élection pourrait créer une crise constitutionnelle généralisée. Bien que le DPJ soit confiant dans ses chances d’accéder au gouvernement pour la première fois, il pourrait échouer de justesse, ce qui ouvrirait la possibilité d’un gouvernement LDP en position de faiblesse, manquant de la majorité des deux tiers dont il aurait besoin pour contrer la chambre haute à majorité DPJ. Un gouvernement d’unité nationale est de plus en plus envisagé, dans le contexte d’un ressentiment croissant, d’une hostilité et d’une opposition contre tout l’establishment politique.

Peter Symonds

http://www.wsws.org

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