Le Japon est le pays des fêtes. Elles s’y succèdent au long de l’année. Pour tout : fête d’un temple ou d’un sanctuaire, fête de quartier, d’un village, célébration d’un événement historique ou mythique… De toutes ces festivités, la célébration de l’année nouvelle est la plus importante et la plus ancienne. Par sa durée : à partir du 29 décembre, la vie ralentit puis s’arrête jusqu’au 3 janvier. Cette période a été précédée par une suite de cocktails, parties et dîners pour dire au revoir à l’année qui s’achève, et elle sera suivie par d’autres pour saluer l’année qui a commencé.
Bref, du milieu de décembre à celui de janvier, les Japonais célèbrent le grand rituel du renouvellement cyclique du temps. Le terme qui désigne cette période, shogatsu (le « mois juste »), à une connotation de « remise à zéro ».
A la fin du XIXe siècle, dans l’effervescence de la modernisation, le Japon adopta le calendrier grégorien, et les rituels du Nouvel An qui, autrefois, suivaient le calendrier lunaire – et se situaient aux alentours du 15 janvier avec la première lune – furent reportés à la fin de décembre et au début de janvier. Ils se sont maintenus mais, au fil de l’évolution des goûts, des progrès technologiques et de la diététique moderne, les traditions du Nouvel An ont évolué sinon dans leur esprit du moins dans leurs pratiques.
Le Nouvel An est resté une fête au cours de laquelle, esprits forts ou non, les Japonais se laissent emporter par l’enchantement du monde. Les temples bouddhiques et les sanctuaires shintoïstes (animisme et religion première du Japon, le culte shinto est pratiqué parallèlement et souvent conjointement au bouddhisme, arrivé dans l’Archipel au VIe siècle), illuminés d’une myriade de lanternes, regorgent de monde dans la nuit du 31 décembre. On vient y écouter à minuit les 108 coups frappés sur la cloche du lieu (pour dissiper les 108 passions mauvaises), y faire sa première prière de l’année et… sa première offrande.
En ces temps de morosité économique, on ne voit plus guère voler des billets de 10 000 yens (80 euros) au-dessus du tronc du temple ou du sanctuaire comme c’était le cas lors de l’expansion. Mais le rituel demeure. En attendant minuit, on aura mangé des nouilles de sarrasin – soba -, qui par leur longueur symbolisent la longévité. Le Nouvel An est important aussi pour chacun, car autrefois – et encore pour les vieilles générations – l’âge des individus était compté non pas en prenant comme référence la date de naissance, mais le passage de la nouvelle année : le nouveau-né avait ainsi un an dès sa naissance. Tout ce qui se passera dans les premières heures ou les premiers jours de l’année prend un sens particulier : comme le premier rêve.
Ce sont surtout les rites domestiques qui ont évolué. Shogatsu est d’abord une fête de famille que l’on célèbre encore largement chez soi. Les derniers jours de l’année étaient astreignants pour la maîtresse de maison : c’est l’époque du grand nettoyage. Tout doit être impeccable pour accueillir la nouvelle année et, dans la pensée traditionnelle, le dieu de l’an du culte shinto qui rend visite à la maisonnée. Il arrivait avec le premier soleil : c’est pourquoi, le 31 janvier, des Japonais font l’ascension de montagnes, à commencer par le mont Fuji, pour assister à la sortie des ténèbres et à l’apparition de la lumière. Le dieu de l’an repartait une semaine plus tard dans les volutes d’un feu en plein air.
Autrefois, le grand ménage de la fin de l’année donnait lieu à la mise à la poubelle d’objets divers (appareils ménagers en état de marche, petits meubles…) que le propriétaire, dans sa frénésie de renouvellement, mettait sur le trottoir. On faisait parfois des trouvailles. Les réglementations de ramassage des ordures ménagères ont mis fin à cette pratique. Quant aux maîtresses de maison, elles font souvent appel désormais à des entreprises de nettoyage spécialisées. Elles se sont aussi largement libérées de la préparation des repas de Nouvel An dont les mets sont choisis pour leur caractère faste, car ils sont supposés être des offrandes au dieu de l’an avant d’être consommées par les humains.
Le repas traditionnel du Nouvel An japonais est varié et présenté avec raffinement dans des boîtes en laque superposées. Certains mets sont indispensables pour leur symbolisme : une quenelle de poisson rouge et blanc (le rouge est une couleur symboliquement positive), de la dorade rose (le rouge encore…), des oeufs de hareng qui, par leur multiplicité, symbolisent la fécondité…
Tous ces mets étaient fortement salés afin d’être conservés plusieurs jours : autrefois, la plupart des commerces étaient fermés pendant trois jours – pour que la « divinité de la cuisine » puisse se reposer (le culte shinto compte une kyrielle de petites divinités…). Celle-ci le peut d’autant plus qu’aujourd’hui ces mets sont préparés et vendus dans les rayons alimentation des grands magasins. Et ils sont aussi moins salés – diététique oblige.
En dépit de ces accommodements à l’époque, le Nouvel An, avec ses foules – parmi lesquelles nombre de femmes, même les plus jeunes, portent le kimono – dans les temples et les sanctuaires, ses porte-bonheur et ses prières aux divinités, reste un moment paisible et magique de la vie japonaise.
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