Fin décembre, une étude réalisée par le centre de recherche du groupe Kirin aurait pu enthousiasmer les entreprises japonaises. Le sondage montrait qu’une majorité de travailleurs du pays se déclaraient prêts à dépenser plus qu’habituellement dans les fameuses « bonen-kai » – ou « fêtes pour oublier l’an » -qu’ils enchaînent, avec des collègues ou des amis, au cours des quinze derniers jours de l’année. Selon le Kirin Institute of Food and Lifestyle, ces dépenses, qui avaient stagné depuis 2007 avec la crise à une moyenne de 40 dollars par « bonen-kai », devaient atteindre en 2010 les 50 dollars par soirée. Enfin, auraient pu se réjouir les experts, les prudents foyers nippons reprenaient confiance dans le dynamisme de leur nation et acceptaient de doper leur consommation. Les analystes auraient pu, dès lors, prédire une année 2011 du rebond. Peu ont osé.
A la lecture de l’étude, la plupart ont préféré pointer la résignation des familles japonaises qui n’auraient plus qu’une vision lugubre de leur avenir. Pis, la poussée des dépenses de la fin 2010 aurait été motivée par l’exceptionnelle dureté de l’année passée. Il y aurait eu tant à oublier dans le saké ou le whisky… L’an dernier, le Japon a perdu, au profit de la Chine, sa place de deuxième puissance économique mondiale, vu son champion Toyota s’humilier en rappelant plus de 10 millions de véhicules dans le monde, assisté blasé à la nomination d’un cinquième Premier ministre en à peine trois ans et vécu, au dernier trimestre, une inquiétante poussée des tensions avec un régime chinois de plus en plus arrogant et menaçant.
Depuis les derniers toasts, peu d’informations sont venues doper l’optimisme japonais pour 2011. Certes, le ministère de l’Economie a récemment relevé que, pour la première fois en six mois, la production industrielle avait progressé en novembre dernier. Mais, sur le long terme, les moteurs de croissance apparaissent limités. La consommation intérieure va souffrir cette année de l’expiration des différents programmes de subventions mis en place, au coeur de la crise, par le gouvernement. Depuis septembre et la fin du plan de soutien aux achats de véhicules verts, les ventes de voitures ont ainsi déjà plongé dans l’Archipel. Si elle a profité ces derniers mois de généreuses politiques de prix, la population devrait se montrer beaucoup moins dépensière en 2011 quand elle va se retrouver hantée par une déflation tenace, la poussée de l’emploi temporaire et le maintien d’un taux de chômage à 5 %, jugé très élevé dans le pays.
Plus que jamais, le Japon semble donc condamné à dépendre de la demande extérieure pour doper son économie. Il espère que la progression de la demande américaine et l’habituel dynamisme chinois aideront, cette année, ses exportations à repartir. Ayant souffert l’an dernier de l’appréciation effrénée du yen, Tokyo estime que la reprise aux Etats-Unis et en Europe devrait pousser le dollar et l’euro à la hausse, et ainsi évacuer une partie de la pression pesant sur sa propre devise. Si ces projections s’avéraient justes, la croissance japonaise pourrait, selon Tokyo, atteindre 1,5 % sur l’année fiscale courant entre avril 2011 et mars 2012, après avoir était annoncée à 3,1 % sur le cycle avril 2010-mars 2011.
Dans ces conditions, Naoto Kan, le Premier ministre issu des rangs du Parti démocrate, compte enclencher plusieurs réformes clefs, maintes fois repoussées, qui doivent théoriquement permettre au pays de générer sur le long terme une croissance plus solide, en tenant notamment mieux compte de l’évolution démographique nationale. Comme la plupart des économistes, il constate que la population japonaise vieillit et se contracte très rapidement. Au rythme actuel, le pays devrait perdre un tiers de ses habitants dans les cinquante prochaines années. En 2055, plus d’un Japonais sur trois aura plus de soixante-cinq ans et la population en âge de travailler sera retombée à 52 millions, soit un niveau inférieur à ce qu’elle était en… 1950. Incapable d’augmenter en conséquence sa productivité, le pays doit se trouver de nouveaux moteurs de croissance et réinventer le financement de sa Sécurité sociale pour encaisser l’envolée des dépenses de retraite et de santé, qui alourdissent chaque année une dette publique pesant déjà 200 % du PIB.
Lançant le douloureux débat, Naoto Kan propose notamment d’augmenter la TVA de 5 % pour enrayer en partie la détérioration des finances publiques. Cherchant aussi à « ouvrir » à la globalisation un Japon réputé replié sur lui-même, Naoto Kan veut rendre le pays plus attractif pour les investisseurs et les cadres étrangers, qui pourraient aider les entreprises à mieux appréhender les nouveaux marchés. Il souhaite surtout entamer le processus d’adhésion au partenariat transpacifique (TPP), une vaste zone de libre-échange que sont en train de construire des pays de la région tels que les Etats-Unis, l’Australie ou encore la Malaisie.
Des initiatives qui ne font pas l’unanimité dans la classe politique nippone. Défendant leur électorat rural, des opposants au TPP claironnent que l’adhésion à une nouvelle zone de libre-échange entraînerait la mort d’une agriculture nationale ultraprotégée. Les cadres du puissant Parti libéral-démocrate d’opposition ont, un temps, prôné des réformes similaires, mais ils préfèrent aujourd’hui parier sur l’essoufflement rapide de Naoto Kan, qui, après seulement sept mois au pouvoir, doit faire face à de graves divisions au sein même de sa formation politique et ne recueille déjà plus que 20 % d’opinions favorables dans les sondages. Les experts assurent que, pour reprendre la main, Naoto Kan va organiser dans les tout prochains jours un remaniement ministériel, mais peu semblent croire que la valse de quelques personnalités permettra à l’exécutif de sauver son année et au Japon d’enclencher sa révolution.
{{par Yann Rousseau}} correspondant des « Echos » à Tokyo.
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