On le pensait l’homme le plus âgé de Tokyo (111 ans). La police vient de découvrir chez lui son corps momifié : il serait mort depuis trente ans. Lorsque la mairie de l’arrondissement d’Adachi voulut vérifier que Sogen Kato, né le 22 juillet 1899, était bien vivant, elle fut éconduite par sa fille (81 ans) arguant que son « père ne voulait voir personne ». La petite-fille, 53 ans, déclara cependant le lendemain à la police que son grand-père avait décidé de devenir un « Bouddha vivant » et que le têtu vieillard refusait depuis trente ans à quiconque de pénétrer dans sa chambre.
Macabre fait divers cachant probablement une escroquerie car le défunt touchait les indemnités versées aux personnes âgées et les certificats de vie étaient falsifiés… Le respect de « l’intimité » du patriarche reclus dans sa chambre depuis trente ans est en tout cas bien mystérieux…
Qu’ils reflètent ou non la vérité, les propos de la petite-fille faisant état du désir de son grand-père de devenir « Bouddha vivant » sont troublants : ils font inopinément surgir dans le Japon du XXIe siècle une vieille pratique d’automomification des adeptes de la « voie de l’ascèse » (shugendo) issue du courant du bouddhisme ésotérique.
{{{ {{DOCTRINE ASCÉTIQUE}} }}}
Dans des temples de la région de Yodono (préfecture de Yamagata, au nord du Honshu), on peut voir une vingtaine de momies de moines anachorètes datant du XIVe au XIXe siècle, en position de méditation assise, qui sont l’objet de dévotions des pèlerins. Au fil d’une ascèse – « entrer dans l’immobilité » (nyujo) – consistant à s’asseoir, jambes croisées, en retenant son souffle et les battements de son coeur, le croyant est supposé sanctifier son corps. Et à l’issue d’un long jeûne anorexique, il « abandonne » son enveloppe corporelle.
Contrairement à l’Egypte, dont le climat sec facilitait la momification, le Japon a un taux d’hydrométrie élevé. Aussi ceux qui voulaient « abandonner leur corps » devaient-ils commencer par le laisser dépérir en se privant de céréales puis, après deux mille jours, de fruits et d’herbes pour ne plus boire que de l’eau. Au moment où la mort d’inanition advenait, le corps était déjà presque momifié. Ensuite, on l’enfouissait dans une tombe de pierre pendant trois ans. Puis il était ressorti. Comme les momies de grands lamas tibétains obtenues par salaison, les momies japonaises étaient parfois enduites de laque.
Cet abandon du corps ne s’apparente pas dans la doctrine ascétique à un suicide mais vise à une existence simultanée dans le monde des vivants et le Nirvana. Pratiquée en Chine depuis le IVe siècle, elle arriva au Japon au XIe. L’interdiction de l’excavation d’un tombeau par le code pénal en 1880 y mit fin, en privant les candidats à la momification d’un enterrement provisoire de trois ans. Le centenaire de Tokyo voulait-il « abandonner son corps » ou fut-il emporté par une mort banale, dissimulée pour des motifs bien prosaïques ?
[Philippe Pons (Tokyo, correspondant) pour le monde.fr->http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/08/02/le-japonais-qui-s-etait-momifie-de-son-vivant_1394767_3216.html]