Evitant l’écueil de projeter des références occidentales sur une réalité fruit d’une histoire différente, Karyn Poupée dissèque, dans Les Japonais, le fonctionnement de la société nipponne en mettant l’accent sur son exceptionnelle réceptivité aux innovations technologiques et aux produits ou services auxquels cette disposition donne lieu.
Journaliste à l’Agence France-Presse (AFP), parlant japonais et connaissant bien son terrain, elle fait découvrir avec une curiosité passionnée un Japon qui « innove et s’ingénie à relever des défis majeurs » (déclin démographique, vieillissement, dépendance des approvisionnements). Un Japon qui « à tout le moins mérite mieux que l’indifférence et les clichés négatifs ou positifs » et dont les solutions qu’il met en oeuvre pourraient aider à reposer nos problèmes de manière différente.
Après avoir brossé la saga du redressement du pays, de son expansion et de sa « chute » – la décennie « perdue » après « l’éclatement de la bulle spéculative » de la fin des années 1990 -, Karyn Poupée souligne quelques caractéristiques du comportement local (respect des conventions, ponctualité, hantise de l’incertitude, patience, relation de confiance, respect du bien public…) qui sous-tendent le fonctionnement social.
La qualité du service en est une illustration. Elle se conjugue surtout à une quête d’efficacité qui a fait des Japonais des spécialistes de la logistique, « qu’il s’agisse de gérer des personnes ou des marchandises », par la mise en place « de mécanismes de régulation et de dispositifs organisationnels et industriels d’une efficience et d’une amplitude inconnues ailleurs » : portillons intelligents dans les gares (deux individus par seconde), trains toutes les deux minutes à Tokyo aux heures de pointe ; remplissage en un quart d’heure d’un Jumbo 747 ; une voiture sur trois équipée de navigateur par satellite (GPS). Autre illustration de cette gestion des flux : les 43 000 supérettes multiservices ouvertes 24 heures sur 24 (zéro stock, paiement par effleurement d’un terminal avec un téléphone mobile) ou un système de livraison à domicile ultraperformant.
« En dépit des changements conjoncturels et d’un pouvoir d’achat qui fait le grand écart, la société japonaise reste submergée par une offre sans cesse renouvelée de produits et de services. » Une sensibilité aux innovations fonctionnelles qui s’explique, selon l’auteur, par une offre pléthorique et par une immersion dans les technologies « dès leur plus jeune âge ». Aussi, les Japonais adhèrent-ils d’emblée à des technologies qui suscitent ailleurs des appréhensions, comme la biométrie pour l’authentification des personnes : « L’avantage d’une innovation l’emporte a priori sur son (hypothétique) travers. »
L’innovation est aussi un moyen de réduire les délocalisations. A condition de ne pas sacrifier la recherche, ce dont le Japon se donne les moyens. Et il s’emploie à maintenir tissu industriel et savoir-faire dans l’archipel.
Fourmillant d’informations, le livre aurait gagné à être plus court et plus cadré. Il pèche par des généralisations, des passages ne sont guère convaincants (sur la sexualité), d’autres attendus (sur la politique). Mais son mérite tient au souffle enthousiaste, rafraîchissant, qui l’anime ; et il replace une expansion économique dans son contexte socio-historique en offrant de celle-ci un tableau nuancé.
LES JAPONAIS de Karyn Poupée. Ed. Tallandier, 508 pages, 25 €.
Philippe Pons
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