Un petit village en bord de mer, aux maisons basses et aux toits de tuiles, environnées de collines à la végétation subtropicale, détient le record mondial de la longévité. A l’entrée de l’agglomération, une maxime est gravée : « A 80 ans, tu es un gamin ; à 90, si la Faucheuse se présente, dis-lui « Passe ton chemin et reviens quand j’aurai 100 ans ». » Un tiers de la population d’Ogimi, sur l’île principale de l’archipel d’Okinawa, est âgé de plus de 65 ans, et une dizaine a plus de 100 ans.
Le Japon compte le plus grand nombre de centenaires : 36 276 en 2008, soit 1 pour 3 522 habitants. 86 % sont des femmes dont l’espérance de vie (85,8 ans) est supérieure à celle des hommes (79 ans). Le record de longévité a longtemps été l’apanage d’Okinawa. Ce n’est plus le cas.
A une centaine de kilomètres au sud d’Ogimi, à Naha, capitale de l’archipel, l’espérance de vie des hommes a reculé, passant entre 1985 et 2005 du 1er au 26e rang national (dans le cas des femmes, elle reste élevée). Okinawa connaît désormais des maladies jusque-là peu fréquentes : obésité, problèmes cardio-vasculaires, diabète…
Sous l’administration des Etats-Unis de 1945 à 1972 et, par la suite, terre d’élection des bases militaires américaines au Japon, Okinawa a été fortement influencé par les pratiques alimentaires venues de l’autre côté du Pacifique. Nourris de hamburgers, de poulet frit et de pizzas, les Okinawaïens sont parmi les Japonais les plus gras. Préoccupées, les autorités ont mis en oeuvre un plan de santé publique pour tenter d’inverser la tendance.
Le cas d’Okinawa est révélateur – en plus prononcé – d’un phénomène général au Japon : l’impact de l’évolution des habitudes alimentaires sur la santé de la population. Le gouvernement a inclus dans la loi, révisée en avril, sur l’assurance-maladie des examens portant sur le syndrome métabolique. Depuis juillet 2005 est aussi en vigueur une loi-cadre d’orientation sur l’éducation alimentaire. Une mesure qui a surtout pour objectif de relancer la consommation de produits locaux, notamment dans les écoles, afin de relever le taux d’autosuffisance alimentaire nationale (39 %).
« Dans l’histoire de la consommation alimentaire des pays développés, qui suit les mêmes chemins mais à des rythmes différents, le Japon occupe une place singulière, commente Françoise Sabban, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études en sciences sociales. Il connaît aussi une « transition nutritionnelle » – passage d’un régime fondé sur les hydrates de carbone à une diète où les céréales laissent place à d’autres sources caloriques – mais elle est légère : la baisse de consommation d’hydrates de carbone est assez faible et celle des lipides modérée. »
Le changement des habitudes alimentaires des Japonais à la suite du contact avec l’Occident a contribué à modifier leur morphologie : la taille moyenne des hommes est passée de 1,64 m en 1954 à 1,70 m en 2000, et celle des femmes de 1,50 m à 1,58 m. Et, malgré sa « macdonaldisation », l’alimentation japonaise reste assez équilibrée. Les cas d’obésité y sont trois à quatre fois inférieurs à ce qu’ils sont en France. Une étude de l’université de Tohoku a établi que les Japonais ont un taux de cholestérol dans le sang dix fois moindre que les Américains.
Selon le spécialiste de la nutrition Yukio Yamori, directeur du Centre international de recherches sur la prévention des maladies cardio-vasculaires, « la consommation de poisson, d’algues et surtout de soja contribue à abaisser le taux de cholestérol et diminue les risques cardio-vasculaires. Mais l’occidentalisation des habitudes alimentaires au Japon, marquée par un recul de la consommation de poisson et de soja, n’est pas sans conséquences sur l’espérance de vie ».
Depuis quelques années, l’alimentation anti-vieillissement fait fureur dans l’Archipel. A la trinité diététique nippone (riz-poisson-soja), Okinawa ajoute des « secrets » : une alimentation peu salée, riche en protéines végétales, et la consommation importante d’algues et de concombres particuliers, la goya, au goût amer, riche en vitamines C, qui fait l’objet de nombreuses publications.
Les Japonais qui ont la trentaine aujourd’hui jouiront-ils de la même espérance de vie que leurs parents ? « Si le gouvernement ne peut pas relancer la consommation de produits locaux, la nutrition continuera à changer, entraînant des conséquences sur la santé, comme à Okinawa, estime l’historien de la démographie Hiroshi Kito. Le XXe siècle a été celui de la diversification alimentaire au Japon, mais le XXIe pourrait donner lieu à une réinvention, avec des apports occidentaux et asiatiques, des traditions nutritionnelles nippones tout en conservant leurs caractéristiques en terme de santé. »
Philippe Pons
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LE Monde->http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2008/11/22/les-japonais-mangent-trop-a-l-occidentale_1121889_3238.html]