Ainu アイヌ(1), peuple du nord du Japon, originellement chasseur, pêcheur, cueilleur. Il fait partie des minorités qui composent la population japonaise au même titre que la population des Ryûkyû 琉球, les burakumin 部落民, ou les populations issues de l’immigration (Chinois, Coréens, etc.).

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Photographie d’un groupe d’Aïnous d’Abashiri 網走, ville du nord-est d’Hokkaidô 北海道, 1888 (2)

Ce peuple est, en outre, reconnu comme peuple autochtone selon les standards internationaux, c’est-à-dire qu’il possède une langue, une tradition orale, une culture et un système religieux propres et est enraciné dans un territoire donné. Celui-ci s’étendait du nord de Honshû 本州 jusqu’au sud de la péninsule du Kamtchatka, incluant Hokkaidô 北海道, les Kouriles ainsi que l’île de Sakhaline.

Les Aïnous, dont les origines restent encore incertaines, ont fait leur apparition dans l’Histoire au VIIe siècle grâce aux écrits japonais. S’en suivront des rapports tendus où se mêlent guerres et échanges commerciaux. Au XVe siècle, la pression japonaise s’intensifie et au XIXe siècle, l’île d’Ezo 蝦夷 (renommée Hokkaidô(3)) est revendiquée par le Japon, on peut alors parler de colonisation. Depuis, le statut de ce peuple changea plusieurs fois mais les Aïnous continuèrent de se battre pour leurs droits et pour leur reconnaissance.

Les origines

Les origines de ce peuple ne sont pas encore établies de façon définitive et différentes hypothèses ont cohabité. Néanmoins, l’une d’entre elles s’est détachée mais des doutes subsistent.

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Modèle de l’histoire des populations japonaises d’après Hanihara Kazurô 埴原和郎 (1927-2004), 1991

La thèse d’une origine europoïde (caucasienne) a été formulée par l’anthropologue allemand Erwin E. Baelz (1849-1913) au début des années 1900. Cette théorie à fait école parmi les études européennes et japonaises. George Montandon (1879-1944) décrit cette thèse, principalement basée sur la physionomie, comme « de clarté de soleil ».

Une seconde hypothèse portée par l’école polonaise, veut voir l’origine des Aïnous dans les peuples Mongoloïdes (nord-est asiatiques). Cette étude montre que ce peuple n’est pas très éloigné de ses voisins sur le plan physique mais s’appuie également sur une analyse ethnographique, de la langue notamment.

La troisième thèse établie par Louis Vivien de Saint Martin (1802-1897) et soutenue par Lev Y. Sternberg (1861-1927) aimerait voir les Aïnous comme les descendants des peuples Australoïdes (sud-est asiatiques). La base de cette étude est l’anthropologie physique mais les « preuves » apportées par Sternberg proviennent de l’étude de la religion, de l’art et de la culture matérielle.

Au XXe siècle, des chercheurs japonais ont revu la problématique du sujet et se sont penchés sur les liens entre les Japonais modernes, les Aïnous et les populations de Jômon 縄 文. Cette étude, portant notamment sur l’analyse des dents, montre que les Aïnous seraient un peuple plus ancien que les Japonais (Wajin 和 人). En 1993, Alexander G. Kozintsev (1946) a formulé l’hypothèse, en se basant sur les études précédentes, que les Aïnous, ainsi que les habitants des Ryûkyû, seraient les descendants les plus directs des populations Jômon. Tandis que les Japonais seraient, quant à eux, les descendants d’une immigration mongoloïde venue du continent. Ces derniers auraient hérité d’environ 10 à 20% du patrimoine génétique des peuples Jômon. Les origines des Aïnous remontraient donc aux Proto-australoïdes, c’est-à-dire avant que les caractéristiques spécifiques des différents peuples n’apparaissent. Malgré ces avancées,  il est encore difficile de définir avec précision les débuts de ce peuple et sa préhistoire est encore méconnue.

Des premières rencontres à Meiji 明治

L’entrée dans l’Histoire des Aïnous va se faire grâce aux écrits japonais. Mais là encore, les premiers siècles de contact restent, néanmoins, sujets à caution.

Les premiers textes à faire mention des Aïnous sont les plus anciens textes japonais: le Kojiki 古事記 (712) et le Nihonshoki 日本書紀 (720). Ils y apparaissent alors sous le nom d’Ebisu 蝦夷 ou d’Emishi 蝦夷, barbares repoussés lors de la conquête du pays par les premiers empereurs. Mais il est également possible qu’il s’agisse d’autres ethnies maintenant disparues. Ils sont décrits comme de farouches guerriers se rassemblant rapidement malgré l’absence de gouvernement central. Rapidement, les barbares les plus proches de l’empire adopteront la culture dominante et s’inscriront dans le schéma politique de l’époque (versement d’un tribut).

Entre les Aïnous et les Japonais commença alors une période d’alternance de phases de paix, propices au commerce, et de phases de tensions. A partir du XVe siècle, les premiers japonais (criminels, déserteurs, aventuriers) commencèrent à s’installer sur l’île et y fondèrent notamment des pêcheries. En 1514, un Quartier Général est établi dans le sud-ouest d’Hokkaidô et dès 1551, une petite partie de l’île passe sous le contrôle de ce qui deviendra le clan Matsumae 松前. L’influence de ce clan ne cessera de grandir. Peu à peu, l’agriculture se développa et les exploitations se modernisèrent. La première rencontre avérée avec un européen a lieu en 1591 avec le jésuite Ignacio Moreira  bien que leur découverte soit le plus souvent associée à La Pérouse (1741-1788).

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Combats entre Aïnous et Russes tentant de conquérir les terres sauvages

Au XVIIIe siècle, le bakufu 幕府 s’intéressera davantage à l’île à cause de la pression grandissante des Russes sur les îles du nord (Sakhaline, les Kouriles, etc.). Ce fut également la dernière résistance armée des Aïnous avec la bataille de Kunashiri-Menashi クナシリ- メナシ(1789). En 1869, l’île est annexée et leur situation se dégrade (maladie, alcoolisme, isolement, choc des civilisations, etc.), c’est le début de la colonisation. Le 2 mars 1899, est mis en place une loi de protection (Hokkaidô kyûdojin hogo hô 北海道旧土人保護法) où les indigènes sont nommés anciens aborigènes kyûdojin 旧土人. Mais cette loi est totalement discriminatoire et vise à l’assimilation du peuple.

A la fin de l’ère Meiji Meiji Jidai 明 治時代, les Aïnous sont spoliés de leurs terres et la plus part d’entre eux vivent dans la précarité. Cette « race déchue »(4) est vouée à « l’extinction »(5).

La renaissance

Au début du XXe siècle, les Aïnous sont considérés comme des attractions touristiques. Ils sont parqués dans des réserves et les Kanko Ainu 観光アイヌ (Aïnous pour touristes) sont là pour distraire le touriste. Ils sont même exposés lors d’expositions internationales comme à Chicago (1904) et à Londres (1910).

Mais à partir des années 20-30, la résistance se met en place. En 1930, est créée l’Association des Aïnous d’Hokkaidô Hokkaidô Ainu Kyokai 北海道アイヌ協会 (qui deviendra l’Hokkaidô Utari Kyodai 北海道ウタリ協会 en 1946) dont le but est de rassembler le peuple Aïnou et de réviser la loi de 1899. Mais elle reste sous la tutelle des autorités et l’image des Aïnous reste, jusque dans les années 60, instrumentalisée par l’Etat donnant encore une image négative de ces derniers.

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Marche de protestation à Sapporo 札幌, première apparition du drapeau aïnou, 1973

Pourtant, un virage va s’enclencher. Grâce aux mouvements des habitants et aux mouvements contre les discriminations, les revendications vont se faire plus pressantes. En 1968, des manifestations vont avoir lieu contre les 100 ans de la colonisation japonaise et le gouvernement sera contraint de réviser la loi de 1899 ; celle-ci reste discriminatoire mais permet aux Aïnous d’Hokkaidô de percevoir des aides sociales. D’autres actes vont permettre à ce peuple d’affirmer son existence, notamment l’érection, en 1971, d’une statue d’un chef emblématique de la résistance Shakushain シャクシャイン.

Les Aïnous vont alors, à l’image d’autres peuples autochtones de par le monde, miser sur une stratégie internationale basée sur le respect des droits de l’Homme. Cette stratégie s’avère payante puisqu’en 1987, ils sont admis dans le groupe de travail sur les populations autochtones de l’Organisation des Nations Unies (ONU) alors que Tôkyô 東京 ne les reconnait même pas comme minorité. Cela sera fait 1991, permettant l’élection à la chambre des conseillers de la Diète de Kayano Shigeru 萱野 茂 (1926-2006) lors des élections de 1994.

En 1997, lors d’un procès contre des expropriations pour la construction du barrage de Nibutani 二風谷 sur des terres sacrées, la cour de Sapporo reconnait le caractère autochtone des Aïnous à Hokkaidô (mais cela n’empêcha pas sa construction). 1997 est également l’année de l’abolition du statut d’ancien aborigène et de la promulgation de la Loi pour la promotion de la culture aïnou et pour la diffusion et le soutien des traditions aïnous et de la culture aïnou. Cette loi permet la mise en place de structures et d’événements subventionnés afin de promouvoir la culture traditionnelle mais elle ne s’attaque aucunement aux problèmes socio-économiques et ne permet pas l’autonomie du peuple aïnou. En effet, les Aïnous restent écartés des décisions : le Centre de promotion de la culture aïnou de Sapporo 札幌, ouvert en 2003, n’est pas géré par la communauté mais par l’administration japonaise. De plus, en 2005, lors du classement de la péninsule de Shiretoko 知床 au patrimoine mondial de l’Unesco, aucune mention n’est faite aux Aïnous qui ont pourtant donné le nom à l’endroit, comme pour beaucoup d’autres lieux de l’île (Shiretoko : sir-etoko, terre-bord de -> bout de la terre).

En 2008, la Diète pressait le gouvernement de reconnaître les Aïnous comme indigènes du Japon afin de faire disparaitre au plus vite les discriminations.Enfin, en 2011, ils se lançaient dans la vie politique institutionnelle grâce à un mouvement militant mené par Kayano Shirô 萱野志朗 (1958), fils de Kayano Shigeru.

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Kanô Oki 加納 沖 (1957), musicien de tonkori トンコリ

Bien que souvent négligés, les Aïnous sont pourtant très liés à l’histoire japonaise et même parfois au cœur de celle-ci. Alors que les origines du peuple Aïnou sont presque certaines aujourd’hui, cela a toujours été un sujet de discorde entre les différentes écoles. Par exemple, lors de l’ère Meiji et au moment de la réflexion sur le peuplement du Japon, la préhistoire aïnou a été le sujet de débats houleux (notamment autour des Koropokkuru コロポック ル, peuple légendaire ayant précédé les Aïnous) servant bien souvent des théories racistes. Ensuite, ils ont été au cœur de la politique étrangère du pays à cause des tensions de plus en plus fréquentes avec la Russie. Sakhaline et les Kouriles changèrent de main de nombreuses fois selon les accords définissant la frontière entre les deux puissances. Les différentes communautés durent donc déménager et s’adapter au maître des lieux (apprendre le japonais, puis le russe puis de nouveau le japonais, etc.). De par ces faits, aujourd’hui, on ne trouve des Aïnous plus qu’au Japon. Enfin, grâce à la période de démocratisation de l’après guerre et à une stratégie à l’international, ils ont réussi à retrouver un statut les mettant à égalité avec les autres Japonais ainsi qu’une place dans la société. Ces dernières années, la culture aïnou se développe grâce à des festivals et à des personnalités médiatiques (Kanô Oki 加納 沖 (1957)) et les recensements annoncent une population en hausse (les gens n’ayant plus peur d’avouer leurs origines). Malgré cela, leur combat n’est pas terminé car malgré les lois, les Aïnous sont toujours victimes de nombreuses discriminations.

(1) Les Aïnous ne possédant pas d’écriture, ils ont adopté les systèmes des puissances dominantes (alphabet cyrillique et katakana 片仮名). Pour le mot Ainu, nous utiliserons la forme latinisée du mot: Aïnou.

(2) Toutes les illustrations sont extraites de Ainu: spirit of a northern people.

(3) Pour plus de compréhension, nous utiliserons Hokkaidô même avant l’attribution de ce nom en 1869. L’île portait les noms d’Ezo, Yezo, Ezogashima 蝦夷が島, Ezochi 蝦夷地.

(4) et (5) Mots employés par Koganei Yoshikiyo 小金井 良精 (1859-1944), père de l’anthropologie physique au Japon, dans À propos des sites de l’âge de la pierre à Hokkaidô, Hokkaidô sekki jidai no iseki ni tsuite 北海道石器時代ノ遺跡二ついテ.

Pierre-Etienne De Lazzer

Sources:

http://www.japoninfos.com/les-ainu-et-la-politique-des-minorites-ethniques-au-japon.html (23/12/2012)

« Ainu Success: the Political and Cultural Achievements of Japan’s Indigenous Minority », The Asia-Pacific Journal, Vol 9, n°2, 21 mars 2011

BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Paris, Fayard, 2007, 618 p.

DUBREUIL Chisato O. et FITZHUGH William W. (dir.), Ainu: spirit of a northern people, Washington D.C., University of Washington Press, 1999, 415 p.

LEROI-GOURHAN André et LEROI-GOURHAN Arlette, Un voyage chez les Aïnous « Hokkaïdo-1938 », Paris, Albin Michel, 1989, 160 p.

NANTA Arnaud, Koropokgrus, « Aïnous, Japonais, aux origines du peuplement de l’archipel. Débats chez les anthropologues,1884-1913 », dans Ebisu, n°30, 2003, p. 122 à p. 154.

NANTA Arnaud, « L’altérité aïnoue dans le Japon moderne (années 1880-1900) », dans
Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2006, p. 247 à p. 273.

PELLETIER Philippe, Atlas du japon « Une société face à la postmodernité», Paris, Autrement, 2008, 79 p.

SOUYRI Pierre-François, Nouvelle histoire du Japon, Paris, Perrin, 2010, 640 p.

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2 Commentaires

  1. Un article découvert au hasard des clics, et lu de bout en bout avec intérêt et passion. Merci pour ces informations, et enchanté, les Aïnous !

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