TOKYO Michelin a fait très fort pour son premier Guide de Tokyo: la capitale nippone a détrôné Paris au panthéon de la gastronomie mondiale, en obtenant 191 étoiles pour 150 restaurants, dont huit ont même reçu le mythique triplé. Mais pour des critiques concurrents, le Guide rouge s’est peut-être un peu emballé.
«Nous avons trouvé que les restaurants de la ville étaient excellents, qu’ils utilisaient les meilleurs produits, des talents culinaires et une tradition transmise de génération en génération que perfectionnent encore les chefs d’aujourd’hui», avait déclaré le directeur des Guides Michelin, Jean-Luc Naret, après la sortie de la première édition japonaise en novembre 2007. Pas moins de 120.000 des livres rouges ont été vendus en trois jours.
Paris au passage a perdu sa couronne culinaire, ses 64 étoiles faisant pâle figure devant les 191 de Tokyo. La capitale française conserve toutefois sa première place au palmarès des trois-étoiles, avec neuf établissements ainsi distingués, contre trois pour New York et huit pour Tokyo -trois restaurants français, deux bars à sushis et trois japonais traditionnels.
Le classement du Bibendum a été une bénédiction pour le Japon, dont l’industrie touristique est handicapée par les prix élevés et la féroce concurrence de Hong Kong, des plages de Thaïlande, ou de Shanghaï dans le sud de la Chine. Le Guide rouge confortait la fierté nationale placée dans la cuisine japonaise, avec son poisson cru et toute la subtilité de ses ingrédients. Mais tout le monde n’est pas convaincu.
Le Michelin, qui tient normalement compte, outre de la cuisine, du service, du décor et de la tenue de l’établissement, aurait-il abaissé ses exigences? Parmi les trois-étoiles, on note la présence d’un bar à sushis installé en sous-sol, exigu même selon les critères tokyoïtes, et qui partage ses toilettes avec les autres occupants de l’immeuble. Une ambiance pas vraiment «trois étoiles».
Le classement a été établi par une équipe de trois inspecteurs européens et deux japonais, qui ont visité incognito en un an et demi 1.500 des quelque 160.000 restaurants de Tokyo, selon Michelin. Qui souligne que Paris par comparaison ne compte que 20.000 restaurants, ce qui explique que le guide de la capitale nippone soit exclusivement consacré aux établissements étoilés.
Pour l’Américain Tim Zagat, fondateur avec son épouse en 1977 du Guide Zagat, et donc concurrent direct du Guide Michelin, c’est le principe même du système d’évaluation du Français qui pose problème. Comment se fait-il que trois restaurants français figurent parmi les trois-étoiles, seule cuisine étrangère au palmarès? Pourquoi pas de chinois ou d’italien?
Tim Zagat y voit une volonté de comparer les villes les unes aux autres. «Il y a des tas de villes extra dans le monde, et Tokyo est un excellent endroit pour manger, mais Paris aussi est un excellent endroit pour manger, et Rome, aussi!», déclare-t-il à l’Associated Press. C’est une querelle d’école: le Guide Zagat rejette l’élitisme supposé des critiques gastronomiques pour recueillir les avis de milliers de clients ordinaires.
De son côté, Yasuo Terui, rédacteur en chef du guide «Tokyo Ii Mise, Umai Mise» («Bon restaurant, délicieux restaurant à Tokyo»), édité depuis 1967, estime que le Bibendum n’a fait qu’effleurer la surface des richesses culinaires de Tokyo. «Je ne crois pas que le Michelin connaisse quoi que ce soit du Japon», assène-t-il.
Il s’accorde cependant avec le Guide rouge pour placer Tokyo au sommet de la gastronomie. «Je crois qu’on peut l’appeler la capitale culinaire du monde», affirme-t-il, «quelle que soit la cuisine que vous essayiez, il est difficile de se tromper à Tokyo».
Yasuo Terui impute une part du succès de Tokyo à l’émergence d’une génération de chefs qui ont fait leurs classes en Italie, en France, en Chine ou ailleurs dans le monde, et tentent de mêler ces influences à la cuisine traditionnelle japonaise. Et il se montre magnanime pour ce qu’il considère comme des «oublis» au Michelin. «On trouve de nombreux endroits dont on ne parle pas et où l’on mange bien quand on voyage en Europe, surtout dans les campagnes», remarque-t-il. «Je suis sûr que c’est pareil au Japon.»
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