« Atatatata ! Bang-bang-bang ! Aaaargh ! ». En interprétant des textes de manga dans les rues de Tokyo, Rikimaru Toho invente un style théâtral et renouvelle la tradition du conte populaire.
Installé sous une voie ferrée du quartier de Shimokitazawa, le berceau de la culture underground japonaise, cet homme de 34 ans donne une vie sonore aux textes des bandes dessinées nippones.
Il multiplie changements de voix et de tons, du narrateur placide à une infinités de personnages masculins et féminins, varie bruits et onomatopées pour reproduire les histoires transposées sur papier par les dessinateurs populaires.
Une technique développée après 14 ans d’entraînement quotidien, assure l’artiste.
« Je trouve formidable d’offrir un concept que les gens n’ont jamais vu ni entendu », explique Rikimaru, qui porte la barbe et les cheveux longs retenus par un bandana.
Face à son auditoire, il clame le texte d’un manga dont il montre les pages au public. Les changements de scène ou d’atmosphère de l’histoire sont rythmés par un claquement de doigts ou un « toc » des phalanges sur son front.
Des spectateurs sont assis près de lui sur des tabourets et des passants, curieux, s’arrêtent. La plupart sont des jeunes.
« C’est étonnant ! Vous ne voyez pas ce type de spectacle de rue d’habitude, à Tokyo », s’émerveille Shohei Shindo, 19 ans.
D’autant que le manga est, par définition, un loisir solitaire. Ses amateurs ont d’habitude plutôt tendance à s’isoler, notamment dans les « cafés BD » où ils peuvent s’adonner à leur passion.
« Il met tellement d’émotion dans son jeu, sa voix est envoûtante! », s’enthousiasme une autre spectatrice, Tomoko Kariya, 31 ans, après avoir pris une photo de l’artiste en pleine scène déchirante.
Le répertoire de Rikimaru couvre toute la variété de la production manga, des combats violents de « Ken le Survivant » aux aventures romancées de « La Rose de Versailles », en passant par le célèbre robot-chat Doraemon.
Après avoir terminé un épisode en dix minutes de diction, l’artiste récolte quelques centaines de yens (quelques euros) et distribue des chocolats en échange.
Il dit gagner quelque 15.000 yens (une centaine d’euros) en un week-end de représentation à Tokyo. Un revenu complété par les spectacles qu’il donne dans les provinces japonaises en semaine.
Pas de quoi mener la grande vie – Rikimaru habite une chambre minuscule et humide – mais assez pour vivre en saltimbanque.
« Je suis pauvre, mais j’ai au moins un endroit où dormir et suffisamment d’argent pour manger. Et je vis à mon rythme ! », sourit le jeune homme.
En clamant ces textes par monts et par vaux, le comédien ressuscite la vieille tradition des conteurs sur images japonais.
Ecrit il y a mille ans, « Le Dit du Genji », un roman de cour considéré comme le premier roman psychologique de tous les temps, a été récité aux aristocrates par des générations de baladins qui, tout en déclamant, leur montraient des scènes peintes sur rouleau de papier ou de soie. Une pratique considérée comme l’ancêtre des mangas d’aujourd’hui.
Le récit d’histoires sur images a connu une nouvelle jeunesse au XXe siècle, notamment lors de la récession des années 30 et les privations de l’après-guerre. Des chômeurs parcouraient les bourgs, images sous le bras, et jouaient pour quelques piécettes.
Un passé ressuscité avec Rikimaru, alors que le Japon traverse une nouvelle période de récession et de chômage.
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