Premier ministre de son pays depuis le 24 septembre, Taro Aso multiplie gaffes et faux pas depuis deux mois. Au début, son comportement amusait les Japonais. Aujourd’hui, ses compatriotes commencent à douter de ses compétences.
Il a encore son sourire carnassier, mais les mâchoires fatiguent sous le bronzage. Depuis son élection, Taro Aso perd chaque jour un peu de sa superbe. Gaffes, humiliations, revirements à 180 degrés se succèdent dans une ronde qui donne le tournis à Kabutocho, le quartier de la politique à Tokyo. Un responsable public nippon normalement constitué se serait fait seppuku (suicide rituel) une dizaine de fois après une telle série. Mais Taro Aso n’est pas de ceux qui abandonnent.
La presse l’attendait au tournant. Son passé sulfureux, riche de déclarations saugrenues et de frasques, laissait augurer d’une administration agitée. Mais l’intéressé est allé au-delà des paris les plus fous des gazettes. Sa performance – c’est le mot – à la tête de l’État risque de mettre un terme à cinquante-trois ans de domination de la vie politique japonaise par sa formation politique, le Parti libéral démocrate (PLD). Vendredi dernier, à bout d’explications, le porte-parole du gouvernement a expliqué, sans rire, que Taro Aso était soumis à d’intenses pressions de la part de l’opposition.
En réalité, si cet ancien champion olympique de tir est aujourd’hui la cible de la presse, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
D’abord, il y a le fond. Taro Aso commet tellement d’erreurs qu’on se demande si elles ne sont pas une stratégie de communication, une façon de le maintenir sous les feux de l’actualité. Son administration tremble à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Il est régulièrement contredit par ses ministres et désavoué par les dirigeants de son parti. Quand il n’insulte pas directement les électeurs. Ainsi a-t-il récemment lancé une diatribe contre la corporation médicale. Seul problème, il était précisément devant un public de médecins.
Il y a aussi la forme. Issu d’une richissime famille patricienne de Kyushu (sud), Taro Aso a toujours mené grand train. C’est l’enfant chéri de Ginza, le quartier du luxe et des bars à hôtesses de Tokyo. Or, il n’a pas modifié ses habitudes nocturnes depuis qu’il dirige le pays, rentrant rarement chez lui après une soirée déjà bien arrosée. «Boire et manger dans les grands hôtels de Tokyo n’est pas si cher que ça. Et j’y suis en sécurité !», se défend-il benoîtement devant les micros, quand il est interrogé sur son mode de vie.
Mais il y a pire. Ce prince, issu d’une lignée prestigieuse où l’on retrouve d’anciens premiers ministres et des cousins de l’empereur, s’était naguère rendu populaire chez les jeunes et les marginaux par son anticonformisme. Démagogue, il continue à étaler sa passion pour le manga, la bande dessinée nippone. Nationaliste, il exalte la prétendue pureté raciale de l’Archipel, et son passé militariste. Or ce populisme semble cacher une méconnaissance crasse de la langue écrite japonaise : il a commis, dans ses premiers discours, des erreurs flagrantes de lecture (la langue japonaise a pour base les caractères chinois dont la prononciation change selon les combinaisons) qui ont provoqué un concours de surnoms dans la presse : «Taro-je-sais-pas-lire», «Cervelle de manga»…
«C’est injuste, car c’est un homme cultivé,ce sont sans doute des erreurs de lecture banales», explique le politologue Takao Toshikawa, qui le connaît bien. Le peuple, qui souffre d’une crise sans précédent dont les germes sont à chercher dans l’incurie de la classe politique, est moins clément. Taro Aso s’enfonce dans les sondages. Après avoir songé à convoquer les électeurs avant la fin de l’année, il repousse désormais l’idée, convaincu de sa défaite. Mais des élections législatives devront de toute manière être organisées avant septembre 2009. Le PLD les redoute. Le parti avait choisi Taro Aso pour redresser son image dans l’opinion, or il l’entraîne dans sa chute.
Le premier ministre va peut-être jouer sa dernière carte vendredi. Il sera opposé au chef de l’opposition, Ichiro Ozawa, à la Diète, dans une session de questions-réponses observées par tout le pays. Une joute oratoire comme il y en a peu dans l’histoire politique nippone, longtemps dépourvue d’opposition – le PLD est au pouvoir de façon quasi ininterrompue depuis 1955 – et cousue d’arrangements feutrés.
S’il perd définitivement pied, Taro Aso finira sa carrière publique dans le monde virtuel. Il sera prochainement l’un des personnages de Fais-moi vraiment l’amour !, un jeu vidéo érotique à paraître l’année prochaine. Une fin somme toute logique pour un fan de manga…
[LE Figaro->http://www.lefigaro.fr/international/2008/11/28/01003-20081128ARTFIG00009-taro-asole-premier-ministre-gaffeur-du-japon-.php]