Débâcle. L’effondrement du PNB japonais fait trembler sur leur base tous les fleurons de l’industrie.
« L es dividendes arrivent, encore un peu de patience », promettait l’été dernier le patron de Sony, l’Américain Howard Stringer, 67 ans, à une clique d’actionnaires revendicatifs. Le géant de l’électronique nippon, alors assis sur une confortable trésorerie, venait de battre des records de ventes et affichait de confortables profits après plusieurs années de remise en forme.
Six mois plus tard, le même Stringer, chevelure plus clairsemée, change de ton. Par trois fois en quelques semaines, le groupe a dû réviser à la baisse ses résultats. Il laisse entendre que Sony, plombé par la débâcle mondiale, va subir de lourdes pertes pour l’exercice qui se clôturera en mars. Le fleuron du high-tech japonais table sur un déficit de 150 milliards de yens (1,25 milliard d’euros), première perte nette depuis quatorze ans ! « C’est bien pire que je ne le pensais », s’émeut Kazumasa Kubota, un analyste d’Okasan Securities, pointant du doigt la dégringolade des ventes de Sony. « L’environnement dans lequel nous évoluons s’est rapidement détérioré et personne dans le secteur électronique n’est épargné », se console Mister Stringer. Sony, il est vrai, n’est pas un cas isolé.
C’est tout l’archipel qui s’enfonce à une vitesse hallucinante. Au dernier trimestre 2008, l’économie japonaise a brutalement basculé dans une récession à deux chiffres (12,7 % en rythme annuel), ce que l’on n’avait pas vu depuis 1974 et le premier choc pétrolier. Un véritable typhon ! Beaucoup de mastodontes de l’industrie vacillent. Sont particulièrement touchés deux secteurs industriels clés : l’automobile (Toyota, Nissan, Honda…) et l’électronique (Sony et ses concurrents Panasonic, Sharp, NEC…). Deux secteurs qui traditionnellement tirent les exportations. Sony n’effectue-t-il pas 80 % de son chiffre d’affaires à l’étranger ? Les géants nippons, très dépendants des marchés mondiaux, apparaissent comme les victimes impuissantes de la chute brutale des commandes, de la baisse infernale des prix et d’une monnaie, le yen, qui n’en finit pas de grimper. Ce qui n’a rien d’anecdotique : quand le dollar cède un yen, Sony perd 8 milliards de yens et Toyota environ 80. Or, depuis à peine six mois, le billet vert a chuté d’une vingtaine de yens, une catastrophe qui fait virer les comptes des entreprises du pays du Soleil-Levant au rouge et qui les pousse à sabrer dans leurs effectifs. Bizarrement, les banques japonaises ont relativement bien résisté à la crise ouverte le 15 septembre 2008 par la faillite de la banque Lehman. Mais les industries accusent maintenant le contre-coup avec une vigueur insoupçonnée.
L’automobile nipponne subit de plein fouet l’effondrement du marché américain. Nissan, l’alliée de Renault, en perte, annonce un plan mondial de 20 000 licenciements. Hitachi, gigantesque conglomérat, va afficher un déficit de 6 milliards d’euros en mars. Il y a trois mois encore, le groupe promettait un retour aux profits ; au lieu de ça, 7 000 emplois seront supprimés. Panasonic s’attend à une perte nette de plus de 3 milliards d’euros, au lieu d’un bénéfice du même montant. Le groupe va fermer 27 usines (dont la moitié au Japon) et congédier 15 000 personnes dans le monde. NEC se dit forcé de se séparer de 20 000 salariés après l’annonce de pertes importantes (2,4 milliards d’euros). Toshiba, qui s’est lancé dans une fuite en avant avec la production de puces-mémoire, est lui aussi dans la seringue, redoutant une perte nette annuelle de 2,3 milliards d’euros ; 4 500 employés en feront les frais. Ces grands noms de l’industrie nipponne entraînent dans leur débandade une cohorte de PME dont certaines, détentrices de pépites techniques, devront recourir aux fonds publics pour éviter la banqueroute. « La conjoncture s’est terriblement aggravée l’an dernier et 2009 s’annonce très difficile », prévient le patron de Toshiba, Atsutoshi Nishida. Un doux euphémisme : « L’impact de cette crise est comparable à deux ou trois bombes atomiques », confie un autre grand patron japonais au Financial Times . La cure d’austérité du pays est telle que l’on se demande si les entreprises nipponnes ne profitent pas du climat pour faire le ménage.
Sony, entreprise symbole, emploie 180 000 personnes (dont un tiers au Japon) et possède 57 usines. Aujourd’hui, ce monument économique risque la rechute. Critiqué il y a quatre ans pour son manque d’imagination et l’absence d’innovation, Sony avait redoré son blason grâce à une gamme de nouveaux produits redevenus populaires (TV Bravia, PC Vaio, appareils photo Cyber-shot ou encore caméscopes Handycam). Mais cette renaissance en période de récession et de guerre des prix acharnée ne constitue pas un bouclier. Sony, le géant industriel, inventeur du Walkman qui a souffert de la concurrence avec le virevoltant Apple et son produit fétiche l’iPod, était en train de revenir à la surface. Maintenant, tout est à refaire !
« La moindre de nos faiblesses nous expose aux pires difficultés », souligne le patron de Sony, excluant au passage de quitter le navire au milieu de la tempête, comme le lui suggérait insidieusement une journaliste japonaise. Pas question pour le PDG de Sony de renoncer. « Nous devons tenir dans l’adversité, avertit Stringer. Ma première responsabilité est de restaurer les profits. Ce ne sera pas facile. Mais nous n’avons pas le choix. Il va nous falloir revoir la façon dont nous concevons, fabriquons et vendons nos produits. » Le retournement de la conjoncture, violent et imprévisible, a pris de court Sony. Le groupe, très dépendant de ses ventes aux Etats-Unis, pensait bénéficier de quelques années encore avant que les clients des pays émergents prennent le relais. C’est raté. Une fois encore, il va falloir « reprofiler » l’entreprise. A croire que, chez Sony, les restructurations sont permanentes.
Ça tombe bien, Stringer n’est pas rebuté par la sale besogne qu’apparemment chez Sony seul un étranger pouvait conduire, à la façon d’un Carlos Ghosn chez Nissan. Stringer est prêt à recommencer. Pour donner des gages aux investisseurs, analystes et agences de notation prompts à tirer sur les ambulances, il en est réduit à faire comme les autres patrons japonais qui congédient des hordes d’intérimaires, ferment des usines, liquident des filiales en déroute, reportent des projets et coupent dans tous les budgets. C’est ainsi que Sony, multinationale sexagénaire créée par feu Akio Morita, capitaine d’industrie qui voulait ignorer les licenciements, prévoit au minimum 16 000 suppressions d’emplois au niveau mondial et la fermeture de 4 usines.
« Faire des économies n’est pas une fin en soi, il faut que nous soyons plus compétitifs, plus dynamiques, plus innovants », martèle Stringer. Pour cela, comme tous les groupes japonais, Sony a sanctuarisé le budget de recherche & développement. « Quel dirigeant sensé vous dirait qu’il va restreindre les budgets de R&D ? » ironise de son côté Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan. L’onde de choc qui bouleverse l’économie nipponne ressemble étrangement à celle qui submergea l’archipel dans les années 90, la « décennie perdue ». En sauvant la R&D, Sony et consorts veulent cette fois en repousser le spectre
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