Après le classement du Fuji San en 2013, l’année 2014 a vu un nouveau lieu rejoindre la liste du patrimoine culturel mondial de l’Unesco. C’est la Filature de soie de Tomioka et les sites associés qui ont donc rejoint cette liste au mois de juin.
Créé en 1872, ce complexe historique séricicole et de filature de la soie se situe dans la préfecture de Gunma, au nord-ouest de Tôkyô, il a été construit par le gouvernement, avec des machines importées de France.
Le site illustre la volonté du Japon d’accéder rapidement aux meilleures techniques de la production de masse et il a été un élément décisif du renouveau de la sériciculture et de la soierie japonaise dès le dernier quart du XIXe siècle. Il témoigne de l’entrée du pays dans le monde moderne industrialisé. Le Japon va devenir le leader de la production séricicole et le premier exportateur mondial, notamment vers la France et l’Italie.
Il se compose de quatre sites qui correspondent aux différentes étapes de la production de soie grège.
- La ferme d’élevage de Tajima Yahei où les œufs de bombyx du mûrier étaient produits. La ferme créa une nouvelle méthode dite seiryo-iku qui accorde une grande importance à l’aération. Plus tard, elle essaya de nouvelles variétés étrangères ou hybrides d’œufs.
- Les entrepôts de réfrigération d’Arafune permettaient de stocker les œufs de bombyx et d’ajuster leur période d’éclosion permettant de pratiquer la sériciculture sur diverses périodes. En effet, avant cela la culture se pratiquait une fois par an au printemps.
- La filature de soie de Tomioka a été construite afin d’augmenter la production et d’améliorer la qualité de la soie grège. Elle utilise des procédés et des machines venus d’occident et en particulier de France et diffusa ces techniques à l’ensemble du Japon.
- L’école de sériciculture Takayama-sha a vu la création de la méthode de production seion-iku qui deviendra le standard dans la production japonaise moderne. Elle accueillit des élèves de tout le Japon mais aussi de Chine et de Corée.
Il serait plus juste de dire exactement ce qui c’est passé car ce ne sont pas seulement les machines qui venaient de France mais aussi l’ingénieur en chef, organisateur et administrateur de l’usine de Tomioka, Paul Brunat à qui il convient de rendre hommage.
Les bâtiments aujourd’hui classés sont aussi l’oeuvre d’un architecte français, Auguste Bastien.
Petit copier/coller trouvé sur un site web racontant l’aventure de Paul Brunat.
Paul Brunat et le Japon.
Le 12 mars 1866, il est envoyé, comme inspecteur de la soie grège, à Yokohama dans le bureau de représentation de la Société lyonnaise Hecht Lielienthal & Cy. Cette entreprise y est installée depuis 1862, et restera présente jusqu’en 1882.
La motivation des entreprises lyonnaises à s’installer à Yokohama, est avant tout d’échapper aux intermédiaires britanniques.
Le 22 juin 1869, en compagnie d’un diplomate et d’un inspecteur des soies employés comme lui à Yokohama, il parcourt différentes provinces du Japon. Suite à cette enquête, un rapport lui est demandé. Il sera présenté le 4 septembre 1869. Il traite de différents points, mais avant tout Paul Brunat affirme que «… les japonais devront utiliser la vapeur pour obtenir des filatures industrielles… ». Il est considéré par la communauté française de Yokohama comme un expert.
Au cours de l’année 1870, un traité avec la France est conclu pour la construction d’une filature. Les établissements Hecht, Lielienthal et Mr Dubousquet, interprète de la légation française présentent aux autorités japonaises Paul Brunat. En juin 1870, un contrat provisoire lui est proposé pour construire et diriger la première grande filature d’Etat. Il n’a alors que trente ans. Il le signe définitivement le 29 novembre 1870 avec le ministère des finances du Japon.
Bien que satisfait, notre péageois ressent, néanmoins une certaine frustration, car il devra retourner en France pour acheter les outils nécessaires à cette filature. Il ne pourra pas suivre la totalité des travaux.
Avant de regagner la France, il part en repérage dans la province de Gunma à la recherche d’un emplacement.
Pourquoi Gunma ?
Cette province est spécialisée et réputée pour la culture des vers à soie.
En novembre 1870, le terrain est acheté, dans cette province, à Tomioka, à proximité d’une mine de charbon, près d’une rivière. Paul Brunat fait appel à l’architecte Edmond Auguste Bastien (1839-1888), collaborateur de Léonce Verny, avec qui, il a participé à la réalisation de l’arsenal de Yokosuka. En cinquante jours les plans de la nouvelle fabrique sont exécutés, les devis sont établis.
Début 1871, la construction commence. Grande nouveauté, l’utilisation de la brique que Paul Brunat a apportée avec lui…La construction de Tomioka, est de style étranger, mais avec une empreinte japonaise…structure en bois sur un soubassement en pierre.
Il revient en France et à Lyon pour acheter les machines, recruter le personnel français qualifié, deux ingénieurs : Justin Bellen et Paul Prat, quatre ouvrières fileuses : Marie Charay, Louise Monier, Clorinde Vielfaure et Alexandrine Vallent et trois fileurs : Louis Bourguignon, Charles Lescot et Jules Chatron pour encadrer et former les Japonais aux techniques occidentales.
Mme Inazuka nous donnera toutes les explications sur ces nouvelles techniques utilisées pour la construction de la filature de Tomioka.
Paul Brunat profite de ce séjour en France pour se marier.
– Le lundi 18 septembre 1871, dans la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, François, Paul Brunat épouse Alexandrine, Emilie LEFEBURE-WELY, âgée de 26 ans, née à Nanterre, fille de Thérèse, Joséphine COURT et du célèbre compositeur et organiste Louis, Jams, Alfred LEFEBURE-WELY, titulaire des orgues de la Madeleine et Saint Sulpice à Paris.
Février 1872, Paul Brunat et son épouse regagnent le Japon. La construction de la filature est déjà bien avancée. Les travaux sont achevés en juillet 1872. Elle sera inaugurée le 4 novembre 1872.
Une anecdote, « lorsque, des énormes machines, jaillit la première fumée noire, les habitants de Tomioka parurent moins intéressés qu’effrayés. Des rumeurs circulaient sur ces étrangers aux coutumes bizarres. Elles s’étaient répandues dans toute la région et compromettaient l’embauche des ouvrières fileuses. Il était même raconté que les français étaient des buveurs de sang, en réalité ce n’était que du beaujolais… ».
Le gouvernement japonais dut faire engager, de force, les filles des fonctionnaires Samouraï qui avaient servi sous le régime précèdent…et, c’est ainsi qu’une centaine d’ouvrières permit le démarrage de la production en 1872.
Un second motif de satisfaction pour Paul Brunat, la naissance de sa première fille Marie, Jeanne, Joséphine, Magdeleine au lieu dit « village de Tomioka ».
En Juin 1873, la filature est en plein rendement. On dénombre 402 fileuses. En juin de la même année, sa majesté l’Empereur et l’Impératrice du Japon visitent officiellement la filature et apportent leur caution à cette usine qui servira de modèle national.
Wada Ei fille d’un samouraï et une des premières employées, tenait un journal sur la vie dans la filature. Un passage a été traduit par Monsieur Ko, ici présent, que je remercie vivement.
« Lorsque l’empereur pénètre dans l’usine, un silence religieux l’accueille. Il s’avance lentement suivi de l’impératrice. Tous deux, vêtus de l’habit d’or, impressionnent le monde des ouvrières. Paul Brunat et son épouse s’avancent. Mme Brunat s’appuie légèrement sur le bras de son époux. De taille moyenne, elle incarne à la perfection l’élégance naturelle et la beauté des femmes de Paris. Une longue tunique de mousseline transparente blanche, brodée de fleurs de cerisier, est drapée sur une robe rose qui met en valeur une taille resserrée, au galbe parfait, qu’une ceinture blanche dessine discrètement. Son visage est comme protégé par une légère voilette. Ses longs cheveux, retenus par une résille, sont coiffés d’un chapeau dont les rubans et les nœuds rappellent les motifs de la tunique. La gracieuse et respectueuse révérence qu’elle accomplit devant le souverain ajoute à la qualité de cet instant ».
A dater de ce jour, on vient se former aux « méthodes modernes » à Tomioka. C’est certainement la plus grande filature mondiale à cette époque. Mais surtout ce sera le modèle sur lequel 600 autres filatures seront construites au Japon.
En 1873, la qualité de la soie grège de Tomioka devenue la meilleure du pays, remportera le deuxième prix à l’Exposition universelle de Vienne, en Autriche.
En 1874, les filatures de Nagano, Ishikawa, Toyama sont construites et équipées comme la filature de Tomioka. Les Italiens prennent aussi une part du marché soit seuls soit en coopération avec la France.
Cette année là, un autre Français se joindra à l’équipe de Paul Brunat, le docteur Jean Vidal qui dirigera le service de santé de cette importante usine de Tomioka.
Paul Brunat termine sa mission au Japon. Il partira le 15 février 1876 en Chine, il s’installera à Shanghai où il dirigera un service d’exportation de soie.
Pourquoi, peut-on dire que Paul Brunat « Star au Japon », est à l’origine de la modernisation des filatures de ce pays ?
Jusqu’à son arrivée, le tirage de la soie s’effectuait dans les fermes familiales ou dans de petits ateliers. D’une seule bassine ne sortait qu’un seul fil de grège.
Dans les filatures industrielles, la révolution est l’utilisation de la machine à vapeur. La mécanisation permet de concentrer au sein d’un atelier cent à trois cents ouvrières travaillant sur des bassines, réparties en deux rangées.
Par ce procédé, il est obtenu un fil régulier, de grosseur uniforme, et d’excellente qualité.
Pour la construction de la filature de Tomioka, il semble que Paul Brunat, se soit inspiré des « usines pensionnats » de la région Rhône Alpes du XIXé, Louis Blanchon à Saint Julien Saint Alban, Claude Joseph Bonnet à Jujurieux, Montessuy et Chomer à Renage, La Galicière à Chatte, les établissements Sanial à Bourg les Valence…
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