Ki-oon a commencé en janvier dernier la publication de A silent voice (声の形, « la forme de la la voix »), un manga de Oima Yoshitoki (大今良時), publié à deux reprises en one-shot, avant d’être sérialisé dans le Weekly Shônen Magazine. La série est courte (7 volumes en tout) mais dense, abordant avec intelligence des thèmes difficiles.

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Victimes et bourreaux

Nishimiya Shôko est presque sourde depuis sa naissance. Élevée par une mère durcie par l’adversité, elle est fréquemment rejetée par les autres et se sent coupable de tout. À l’école primaire, son chemin croise celui de Ishida Shôya, un garçon désœuvré et profondément déconcerté par le comportement de cette nouvelle camarade de classe. Il se met bien vite à traduire par de l’agressivité l’agacement collectif que provoque le handicap de Shôko. L’absence de révolte de la jeune fille excite sa malveillance, qui s’exerce avec l’approbation implicite du reste de la classe, en dépit de quelques protestations hypocrites. Mais lorsque la mère de Shôko réagit et change sa fille d’école, la réprobation qui tombe sur Shôya est unanime. Bouc émissaire de la mauvaise conscience collective, il devient à son tour victime de harcèlement, et s’isole complètement des autres. Bien des années plus tard, alors qu’il n’attend plus rien de l’existence, une rencontre avec son ancienne victime vient tout bouleverser.

Sortir de la haine de soi

Si le premier volume de A silent voice se concentre sur le phénomène de l’ijime (harcèlement, essentiellement scolaire), le manga dans son ensemble aborde avec une grande délicatesse une kyrielle de thèmes difficiles :  le handicap et ses répercussions immédiates et lointaines, le pardon et la réparation, la difficulté à trouver sa place, mais surtout la haine de soi et la capacité à en sortir.

Shôko se hait parce que son handicap pèse sur les autres, sa mère, sa soeur, ses camarades de classe. Perdue dans un flot de paroles qu’elle ne comprend qu’à demi, elle affiche un sourire immuable, comme pour s’excuser d’exister et de susciter tant de sentiments négatifs chez les autres. Quant à Shôya, il se hait pour les souffrances infligées à Shôko, mais aussi pour son incapacité à sortir de l’exclusion dans laquelle il s’est laissé enfermé, répondant au rejet par le rejet. Sortir de cette haine de soi, croire en sa capacité à changer et à nouer des relations avec les autres, tel est le chemin qu’offre Oima Yoshitoki à ses deux personnages.

L’auteur a donc l’intelligence d’éviter le cliché d’un tandem victime / bourreau trop manichéen. Le problème du harcèlement est particulièrement bien exposé – le dérapage vers la maltraitance, la réaction ambigüe de l’entourage et notamment du professeur -, les répercussions du handicap aussi (la Fédération japonaise des sourds et malentendants a d’ailleurs apporté son soutien à l’auteur). Si certaines situations peuvent paraître excessives, si les bons sentiments affluent parfois en trop grand nombre, l’auteur n’en livre pas moins une œuvre sensible et prenante.

Écrit par Élisabeth de Sukinanihongo

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