La société japonaise peut sembler lisse et homogène, une communauté harmonieuse découlant de peu de mélanges et où les étrangers sont peu présents. Cependant, des discriminations sont bien présentes envers les quelques minorités japonaises. Et notamment, envers les Burakumin, l’une des plus importantes minorités au Japon, avec les Aïnous.
Une discrimination très ancienne dans l’histoire du Japon
部落, buraku, signifie le hameau, la communauté, et 民, min, le peuple. La mise à l’écart de cette minorité a débuté dès l’époque féodale. Au 8e siècle, une classe de personnes a été désignée pour effectuer les tâches considérées comme impures par la religion bouddhiste, comme tuer des êtres vivants ou toucher des corps morts. On remarque deux communautés :
- Les Eta, 穢多 ou « pleins de saletés », parias héréditaires, qui s’occupaient des métiers liés au sang et à la mort : bouchers, équarrisseurs, tanneurs… Leur hérédité rappelle la caste des intouchables indiens.
- Les Hinin, 非人, ou « non humains », étaient des communautés venant du peuple « ordinaire », qui devaient effectuer les emplois « souillés » ; s’occuper des prisonniers, être croquemorts, bourreaux ou bien être chargé de crucifier les chrétiens…
Les Burakumin subissaient une discrimination spatiale ; ils vivaient dans des ghettos à l’écart de la société, et ne pouvaient se marier qu’entre eux. Ils devaient aussi porter un signe de distinction qui montrait qu’ils appartenaient à la caste. Les Burakumin étaient également interdits de rester sur le chemin lorsqu’ils croisaient des citoyens de la ville, et ne pouvaient rester en ville la nuit.
En 1871, au début de l’ère Meiji, le système de caste a été aboli, et a mis les Burakumin sur un pied d’égalité avec les autres citoyens, du moins en théorie. La minorité a continué à souffrir d’exclusion et de désavantages certains par le peuple japonais qui ne voulait pas se retrouver mélangé avec eux, de peur que leur « saleté » déteigne.
Une discrimination qui perdure aujourd’hui encore
Malgré des efforts dans les années 1960 afin d’améliorer la qualité d’habitation et de vie des Burakumin, une exclusion certaine perdure dans la société japonaise.
Des études prouvaient que les enfants buraku avaient un Q.I. plus bas que les enfants non-buraku. Les Burakumin étaient considérés comme sales, stupides et… comme non-Japonais. Des chercheurs qui ont examiné ces études plus tard ont affirmé que cette différence reflète une apathie générale et un manque d’estime de soi, provoqués par une discrimination et un dédain de la société concernant cette minorité.
Dans les années 1970, un document de 330 pages écrites à la main de noms de familles buraku et d’adresses de communautés a été découvert et vendu aux employeurs qui souhaitaient savoir si les candidats à l’emploi n’étaient pas Burakumin. Des régulations ont rendu par la suite ce genre de listes noires illégales, mais plusieurs circulent encore secrètement. Autre problème encore que l’embauche, les mêmes listes sont utilisées pour le mariage, afin de savoir si le prétendant n’appartient pas à cette minorité. Les Burakumin se trouvent ainsi complètement exclus du système japonais.
Il n’est donc pas étonnant d’apprendre qu’environ un tiers des yakuzas viendraient de communautés buraku. Jake Adelstein, un journaliste américain spécialisé dans la criminalité japonaise, explique : « C’est vrai, le système yakuza est une méritocratie. Si vous êtes d’accord pour être sans pitié, être une brute et être loyal envers votre patron, ils vous prendront. »
La Burakumin Liberation League (BLL), fondée en 1955, lutte contre toutes formes de discriminations envers cette minorité. Elle estime que le nombre total de Burakumin serait environ de 3 millions, et le nombre de communautés autour de 6000. Des nombres cependant difficiles à vérifier, car beaucoup de Burakumin cachent leur origine. Toshikazu Kondo, membre de la BLL, affirme : « On ne voit pas autant de discours haineux qu’avant, et ceux qui y prennent part ont été forcés d’en payer le prix en justice ».
Les Japonais travaillant dans les abattoirs font également face à une discrimination injustifiée. Yuki Miyazaki, travaillant dans un abattoir qui vend une des viandes les plus chères du Japon, préparée avec une grande habileté – maîtriser ce travail peut prendre une dizaine d’années – , a toujours honte de dire quel est son travail. « Quand les gens me demandent quel genre de travail je fais, j’hésite à répondre », explique-t-il. L’abattoir reçoit régulièrement des lettres anonymes haineuses. Dans l’une d’elles, l’auteur exprime sa sympathie pour les animaux tués par un « Eta ». Bien que Miyazaki ne soit pas un Burakumin, il y est constamment associé.
Une discrimination qui reste tabou
Les médias eux-mêmes évitent tout débat autour des Burakumin, en partie car ils ont reçu plusieurs plaintes d’organisations buraku les dénonçant pour leur insensibilité. La plupart des Japonais ne supportent pas d’aborder ce sujet sensible, ce qui mène à une surprenante réalité ; certains jeunes japonais ne connaissent même pas l’existence des Buraku. La plupart des jeunes en savent beaucoup plus sur le racisme envers les Noirs aux États-Unis que sur la discrimination des Burakumin au Japon.
Des lycéens vivant à Ômiya, où l’on retrouve de nombreux Burakumin, avaient l’air décontenancés en entendant le mot buraku. Une adolescente demande : « Qui sont-ils ? Je n’ai jamais entendu parler d’eux. » Beaucoup d’enfants buraku ne se rendent compte qu’à leur adolescence de leur origine.
Malgré des signes d’exclusion qui persistent, aujourd’hui presque deux tiers des Burakumin disent n’avoir jamais été la cible de discriminations.