Six ans après la triple catastrophe de l’Est du Japon, 123 000 personnes sont encore évacuées des zones sinistrées, dont plus de la moitié du département de Fukushima. En cause, le temps pris par les travaux d’élévation des futurs terrains d’habitation, mais aussi les ordres d’évacuation toujours en vigueur dans quelques zones autour de la centrale nucléaire de Fukushima 1. Suite aux importants travaux de décontamination notamment, ces directives sont toutefois progressivement levées, autorisant le retour des anciens habitants.
Les ordres d’évacuation, en vigueur depuis 2011, ont commencé à être levés en avril 2014 dans un quartier de Tamura. En mars et avril 2017, ce fut au tour des communes de Namie, Tomioka, Kawamata et Iitate de rouvrir en partie leurs portes. « Il existe trois conditions pour cela : une dose radioactive annuelle inférieure à 20 mSv par an ; des infrastructures suffisantes pour y retourner et y vivre ; ainsi que l’accord des habitants », indique Ryûgo Hayano, professeur de physique nucléaire expérimentale à l’Université de Tokyo, à la retraite depuis mars 2017.
Un « retour forcé » des évacués ?
« Il existe deux catégories d’évacués », explique M. Hayano. « D’un côté les évacués des zones proches de la centrale nucléaire pour lesquelles le gouvernement a émis des ordres d’évacuation en mars et avril 2011 ; de l’autre côté les évacués volontaires qui sont partis des autres zones par peur de l’influence des rayonnements », précise-t- il. Et d’ajouter : « Les sommes d’argent en dédommagement et les logements, par exemple, dont ils peuvent bénéficier sont donc différents. S’agissant des évacués de la première catégorie, puisqu’ils ont perdu la liberté de résidence garantie par la Constitution suite aux directives du gouvernement, il est important de rétablir et d’assurer ce droit ».
« Il est compréhensible que les résidents en dehors de la zone d’évacuation aient choisi volontairement d’évacuer en 2011 », poursuit Ryûgo Hayano. « C’est pourquoi, diverses mesures de soutien aux évacués volontaires, comme l’aide au logement par exemple, se sont poursuivies durant six ans ; mais comme il n’est pas question de continuer indéfiniment, à la fin du mois de mars, cette aide a pris fin pour eux », explique-t- il. Ce qui a entraîné des critiques dans certains médias, français comme japonais, indiquant notamment que la « pression économique » contraindrait en quelque sorte les évacués volontaires à un retour non désiré. Cependant, la « précipitation » de la réinstallation, annoncée ici ou là, paraît peu évidente à ce jour.
Seulement 13,5 % d’habitants concernés
Une enquête réalisée par l’Agence de la reconstruction a récemment révélé qu’une minorité d’habitants étaient prêts à retourner dans ces zones rouvertes au public. « Cette évacuation de six ans a été dure pour de nombreuses familles et, surtout pour les enfants, il s’agissait d’une étape pour l’installation dans une nouvelle communauté », indique Ryûgo Hayano. « Les enfants ont fréquenté les écoles, se sont fait des amis, et c’est pourquoi ces familles ne sont pas très motivées pour rentrer ».
« En revanche, pour les personnes âgées, le fait de retourner dans leur pays natal où elles ont passé la plupart de leur vie est important », nuance-t- il. « C’est pourquoi elles sont nombreuses à avoir choisi de rentrer, et on voit beaucoup de familles qui vivaient auparavant en deux ou trois générations et qui sont désormais séparées ».
À la date de mars 2017, seuls 13,5 % des habitants avaient ainsi décidé de rentrer chez eux, selon le journal Asahi Shimbun. Pour les autres, outre le fait que leur nouvelle vie leur convienne et qu’ils craignent les désagréments du quotidien, comme le manque de magasins et d’hôpitaux, il est une autre raison. Leur inquiétude vis-à- vis de la radioactivité.
Quels risques pour la santé ?
« On entre dans la septième année depuis l’accident de Fukushima ; les lieux sont remplis d’inquiétudes et de risques élevés : c’est de la folie de replacer les habitants évacués à proximité », écrit Hisako Sakiyama, docteur en médecine, dans le numéro de mars 2017 de la revue japonaise Journalism. Et de poursuivre : « Les cas de cancer de la thyroïde chez les enfants se multiplient déjà ».
Si la dose limite d’exposition publique aux radiations est fixée à 1 mSv par an, son augmentation à 20 mSv par an dans le département de Fukushima a suscité des inquiétudes. Qu’en est-il sur place ? « Avant la levée des directives d’évacuation, de nombreuses collectivités locales avaient demandé aux habitants de posséder un dosimètre », explique le professeur Hayano, qui a participé à des projets de mesures de l’exposition aux radiations et de la contamination de la population du département de Fukushima. Et de poursuivre : « Pendant les heures d’ouverture imitée des zones évacuées, ils ont mesuré la radioactivité dans leur maison et aux alentours. La radioactivité additionnelle après le retour est d’environ 1 mSv par an dans la plupart des endroits, et cela ne dépasse pas 5 mSv par an ».
« Je pense que le risque pour la santé est suffisamment bas », résume Ryûgo Hayano. « En plus, la majorité des personnes qui retournent en réalité sont des personnes âgées, et il est difficile d’imaginer qu’elles auront un cancer à cause d’une radioactivité additionnelle », complète-t- il. « Cependant, le sentiment de sécurité des habitants est une autre question : des gens choisissent de retourner vivre chez eux même s’il existe un risque radioactif jusqu’à un certain point, quand d’autres au contraire souhaitent être exposés à moins de risques », nuance-t- il.
Une situation contrastée
En avril 2014, Miyakoji, dans la ville de Tamura, fut le premier quartier débloqué. « Au moment de la levée de l’ordre d’évacuation, l’école a recommencé, et personnes âgées comme enfants sont rentrés », témoigne le professeur Hayano. « Ces trois dernières années, les habitants ont repris une vie calme, et je pense que presqu’aucun d’entre eux n’est inquiet, les personnes angoissées n’ayant pas choisi de rentrer », ajoute-t- il. « J’ai fait connaissance avec les habitants lors de la levée des directives ; aujourd’hui, j’achète le riz cultivé par les paysans de ce quartier », confie-t- il.
Dans d’autres zones rouvertes, la situation est toutefois différente. « La réouverture de l’école s’est faite par exemple plus tardivement », explique Ryûgo Hayano. « Ces villages sont composés uniquement de personnes âgées, l’activité industrielle et agricole n’existe pas, et de nouveaux habitants sont venus », ajoute-t- il. Dans les zones autour des centrales nucléaires, de nombreuses personnes se sont installées pour travailler au démantèlement de la centrale. « Donc même si les ordres d’évacuation ont été levés, il n’y a pas de retour à la vie d’avant », constate-il.
« Si on parle uniquement de dose, d’un point de vue scientifique, on aurait pu lever les directives plus tôt. Je pense que l’influence de six années d’évacuation sur la vie ou les familles était plus grande que le risque de la radioactivité », conclut le professeur Hayano. En mars 2017, l’Agence de police nationale a publié une mise à jour du bilan humain de la catastrophe de mars 2011, à savoir 15 893 morts et 2 553 disparus, auxquels s’ajoutaient en novembre dernier 3 523 décès indirects, suite à une dégradation physique durant l’évacuation. Un chiffre qui augmente malheureusement au fil du temps.