Les pressions s’accentuent pour exiger la démission du premier ministre Shinzo Abe dont le Parti libéral- démocrate (PLD) a subi une cinglante défaite lors des élections sénatoriales du 29 juillet. Selon les sondages, plus de la moitié de l’opinion demande son départ et la plupart des journaux critiquent le fait qu’il s’accroche au pouvoir « en tournant le dos à la volonté populaire », écrit par exemple le quotidien Asahi Shimbun. Quant au Parti démocrate du Japon (PDJ), revigoré d’être devenu le premier parti à la Chambre basse, il monte aux créneaux.
Le gouvernement Abe et le PLD cherchent à faire de cette défaite une sorte de « non-événement », certes regrettable et dont il faut tirer des conséquences, mais qui ne remet pas en cause le mandat du premier ministre. Du point de vue du droit constitutionnel, l’argument se défend. Mais le vote a été un désaveu du cabinet Abe. Il est peu vraisemblable que le remaniement ministériel annoncé sera suffisant pour calmer le jeu. M. Abe a commencé par limoger, mercredi, le ministre de l’agriculture, Norihiko Akagi, impliqué dans une affaire de fausses factures.
Le président du PDJ, le pugnace Ichiro Ozawa, a qualifié d' »absurde » l’entêtement de M. Abe. Et il a ouvert le feu en annonçant que son parti s’opposerait à la prolongation de la mission d’appui de la marine japonaise aux forces internationales en Afghanistan. Ce qui ne pourrait que tendre un peu plus les relations avec Washington. M. Ozawa a décliné, jeudi, une demande de rencontre avec l’ambassadeur américain au Japon, Thomas Schieffer, estimant qu’elle n’était pas opportune.
L’adoption, le 30 juillet, par la Chambre des représentants américaine d’une résolution demandant au Japon de présenter ses excuses aux femmes contraintes à se prostituer pour l’armée impériale pendant la seconde guerre a été ressentie à Tokyo comme un camouflet. Cette résolution, qualifiée de « regrettable » par M. Abe, apparaît, juste après la défaite du PLD, comme le « coup de pied de l’âne » à un premier ministre qui avait choisi l’Europe et non les Etats-Unis pour son premier voyage à l’étranger. Le retrait de la Corée du Nord de la liste des pays soutenant le terrorisme – auquel Washington paraît s’être résolu – sera une nouvelle déconvenue pour Tokyo qui prône la fermeté à l’égard de Pyongyang.
Avec un parti gouvernemental affaibli et une opposition renforcée mais qui ne constitue pas, pour l’instant, une force d’alternance crédible étant donné son manque d’homogénéité, le Japon risque d’entrer dans une période de paralysie politique. La Chambre haute a constitutionnellement moins de pouvoir que la Chambre basse où le PLD dispose d’une forte majorité. Mais, dominée désormais par l’opposition, elle peut bloquer ou faire traîner l’adoption des lois. Depuis 1989, le PLD n’a plus, à lui seul, la majorité à la Chambre haute mais il en conservait le contrôle (avec l’appui de petits partis centristes) et surtout la présidence. Ce qui ne sera plus le cas pour les trois ans à venir.
Un phénomène est peut-être plus préoccupant que les conséquences sur la vie parlementaire de la défaite du PLD : l’apparente incapacité à réagir de ce parti qui, en plus d’un demi-siècle de pouvoir, a démontré son habileté à reprendre les situations en main. Personne ne sort du rang. Aucun de ses caciques ne présente une solution de rechange. Tout le monde semble rentrer la tête en espérant que la tempête va passer. Un calcul qui n’est pas forcément erroné : le PDJ n’est pas prêt à prendre le pouvoir et l’émergence d’un bipartisme au Japon semble encore éloignée.
Assemblage disparate de transfuges de droite et de centre gauche, le PDJ a bénéficié, le 29 juillet, d’un vote sanction du PLD plus que d’un soutien actif des électeurs. Il n’aurait peut-être pas leur aval si ceux-ci devaient se prononcer dans des élections générales ayant à la clef une alternance au pouvoir. Mais il n’en constitue pas moins une nouvelle force qui prive le PLD de sa position hégémonique et pourrait le contraindre à jouer la concertation. Philippe Pons
Source : LeMonde.fr