Ceinturée comme elle l’est de collines, émaillée du rouge éclatant de ses sanctuaires shintô et du gris argenté de ses toitures retroussées, Kyoto fait penser à un… makizushi ! C’est qu’elle est tout aussi belle à voir, la cité qui fut capitale impériale, coeur de la civilisation japonaise et centre artistique du pays pendant plus d’un millénaire.
Kyoto — Avec ses innombrables temples bouddhiques, ses chefs-d’oeuvre de jardins secs, ses festivals, musées et palais impériaux, Kyoto a tout pour séduire. L’Association touristique de la ville, par l’entremise de sa Fondation de la musique traditionnelle, promeut même les arts immatériels nippons en présentant aux étrangers un pot-pourri de prestations conçu spécialement pour eux.
Celui-ci comprend, entre autres, un peu de gagaku, une musique de cour, un extrait de bunraku ou théâtre de marionnettes, une cérémonie du thé et une danse locale appelée Kyomaï, qui a inspiré la célèbre Danse des cerisiers de Kyoto. Pour qui ne connaît rien à rien des traditions au pays du Soleil levant, ce spectacle présenté au Gion Corner en constitue une bonne introduction.
Font également partie de la richesse culturelle de Kyoto des vestiges de son passé féodal qui transparaissent ici et là. Ainsi, dans Kamigyo-ku, des artisans fabriquent toujours des soieries de style Nishijin, une méthode de tissage datant de la fondation de la ville, au IXe siècle.
Au pied de la colline d’Higashiyama, dans les ateliers avoisinant le temple Kiyomizudera, les potiers se transmettent de père en fils les secrets du kiyomizu-yaki, une porcelaine aux motifs bleus élaborés.
Et dans les hanamachi, ou « villages des Fleurs », tels Gion et Pontocho, claquent encore sur le pavé, à la tombée de la nuit, les sandales de bois des geishas, qu’on nomme plutôt ici geiko. Oh, bien sûr, ces métiers d’art sont fragiles, mais ils perdurent.
Dans les rues en damier de la cité subsistent aussi des machiyas, ces belles résidences en bois qui servaient à la fois d’habitations et de commerces aux marchands du Moyen Âge. Ce sont d’ailleurs elles qui, en certains quartiers, donnent à Kyoto sa physionomie unique, évoquant le Japon d’autrefois.
Si plusieurs de ces demeures ont été détruites ou sont aujourd’hui menacées de disparition, d’autres, devenues auberges traditionnelles, sont bellement préservées.
C’est notamment le cas d’Hiiragiya, l’une des adresses les plus prestigieuses non seulement de la ville, mais de tout le pays. « La maison fut construite en 1818 par mon aïeul, un marchand de fruits de mer, et dès la deuxième génération elle fut transformée en auberge », explique Akemi Nishimura, la propriétaire actuelle. Et quelle auberge ! Hiiragiya, tout comme sa voisine d’en face, Tawayara, préservent un art de vivre quasi cérémoniel.
Protocole hôtelier
Au centre de cet art de vivre est la notion de l’hôte-roi. Un cliché ? Voyons voir… Ici, une femme de chambre en kimono est assignée à votre service pour toute la durée de votre séjour.
C’est elle qui apporte du thé dans votre chambre pour vous souhaiter la bienvenue et qui prend l’initiative de vous faire couler un bain. C’est elle encore qui organise la pièce pour le dîner — la table basse sera-t-elle orientée vers le jardin, l’arrangement floral ou… l’écran plat du téléviseur dissimulé sous une housse ? Le dîner, lui, sera gastronomique, bien entendu. Une fois le repas terminé, elle installe le futon.
Le lendemain matin, elle le range prestement, vous apporte le petit-déjeuner, vous propose d’appeler un taxi, s’assure que le chauffeur vous mènera à bon port… La chorégraphie, parfaitement rodée, est effectuée avec naturel et a de quoi faire rougir le « service personnalisé » à l’occidentale.
Des 28 chambres que compte Hiiragiya, 21 présentent une déco digne de la période Edo. Celle qui porte le numéro 16 est particulièrement en demande, note Mme Nishimura, car c’était la préférée de Yasunari Kawabata, lauréat du prix Nobel de littérature. Les sept autres marient avec grand art aménagement traditionnel et design contemporain.
Elles font partie d’une nouvelle aile comprenant une salle à dîner, sorte de cube de verre à l’extérieur duquel des bambous montent la garde, qui s’intègre harmonieusement à l’ensemble. Toutes les chambres donnent sur un tsubo niwa ou jardin minuscule, dont la fonction était jadis à la fois esthétique et utilitaire : un petit espace vert autour d’une machiya faite sur le long permettait en effet de ventiler les pièces de la maisonnée tout en satisfaisant le désir de nature de ses résidants.
Conjuguant luxe, calme et tradition, cet art de vivre fait intégralement partie du bain culturel qu’offre Kyoto. Et en faire l’expérience, c’est assurément s’offrir une immersion rare en un Japon ailleurs oublié.
Carolyne Parent
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