Si le manga est parfois regardé de haut par certains grincheux, Jirô Taniguchi bénéficie en général d’une considération particulière. Souvent publiées en grand format et dans le sens de lecture occidental, ces œuvres déroutent d’autant moins les amateurs de bande dessinée européenne que Taniguchi s’avoue influencé par de nombreux auteurs occidentaux, avec lesquels il a parfois travaillé.
De Quartier lointain aux Enquêtes du limier, en passant par Au temps de Botchan et le Sommet des dieux, l’auteur a par ailleurs une palette étendue, susceptible de séduire un vaste public. Avec Elle s’appelait Tomoji, one-shot publié chez Rue de Sèvres, Taniguchi nous ramène au Japon et à une heureuse sobriété qui rappelle L’homme qui marche.
Tomoji Uchida naît en 1912 dans une famille rurale et prospère. Son existence bascule lors du décès de son père. Pourtant, si d’autres malheurs viennent frapper son enfance, la jeune fille conserve le soutien de son frère aîné et de sa grand-mère : elle continue donc à grandir et étudier, tout en travaillant dur avec les siens, faisant face à l’adversité avec une belle égalité d’humeur. C’est en croisant le chemin de son cousin Fumiaki Ito qu’elle renoue avec le bonheur, en fondant à son tour un foyer.
Taniguchi a écrit l’histoire de Tomoji, à la demande du temple Shôjushin, dont elle est la fondatrice. L’auteur a cependant choisi de retracer assez librement ce destin de femme, en insérant des épisodes non mentionnés dans sa biographie (mais parfaitement vraisemblables) et en se limitant à ses jeunes années, sans évoquer la fondation du temple en elle-même. A l’hagiographie, il a préféré l’évocation, au travers de ce portrait singulier, du Japon rural de cette époque et des destins similaires de nombreux hommes et femmes. Si la constance face au malheur et la sobriété dans l’expression des sentiments caractérisent Tomoji et son entourage, c’est surtout la force de caractère de la jeune femme qu’illustre le trait de Taniguchi. On admirera aussi la qualité des planches couleurs placées en tête de chaque chapitre, le dessin rendant à merveille les photographies de famille aux visages sérieux et calmes, acceptant pleinement leur destin sans vaine agitation.
Taniguchi nous offre donc une œuvre empreinte de sérénité, sur un Japon en voie de disparition, et un beau portrait de femme, tranquille et déterminée.