L e nouveau film du Japonais Takeshi Kitano surprend. Moins par sa forme excentrique que par le pied de nez qu’il semble adresser à ce qu’il est convenu d’appeler le développement normal d’une carrière.
En douze films (en fait à partir de son troisième, Sonatine, qui fut le premier que l’on découvrit en France), Takeshi Kitano a en effet acquis la stature de grand auteur international, dont les oeuvres sont désormais systématiquement invitées dans les grandes manifestations cinématographiques.
Déjà son précédent film, Takeshi’s, avait laissés perplexes de nombreux amateurs de son cinéma. Glory to the Filmmaker ! ne va pas arranger les choses.
Dans les premières images, un mannequin en plastique est l’objet d’examens médicaux sophistiqués. On découvre après le générique qu’il est vêtu (un pull-over avec le sigle K) comme Takeshi Kitano lui-même, qui le transporte avec lui et dont il constitue un double expiatoire (il sera d’ailleurs « exécuté » plusieurs fois durant la durée du récit), alors qu’une voix « off » semble faire un bilan et tracer les perspectives de la carrière du cinéaste.
S’ensuit très vite une série de parodies des genres majeurs du cinéma japonais, le film de yakuza, le drame intime à la Ozu, le mélodrame, l’horreur, le film de sabre, la science-fiction.
Chacune de ces saynètes s’achève par le constat d’un échec, d’une désuétude ou d’une redite exprimant, à l’arrivée, l’inutilité de toute nouvelle incursion du cinéaste dans l’une de ces catégories.
« Qui veut voir des films pesants où des gens boivent du thé ou de l’alcool pendant une demi-heure ? », s’interroge la voix du narrateur après une miniparodie, il est vrai affligeante, d’un film d’Ozu. Derrière l’humour, souvent inattendu, il y aurait comme l’affirmation d’une perte d’inspiration, d’un dessèchement créatif, surtout peut-être d’une méfiance vis-à-vis des mythologies actuelles d’un cinéma japonais qui dans son ensemble paraît tourner à vide.
UN SAVANT FOU
Il y a pourtant plusieurs raisons de se réjouir à la vision de Glory to the Filmmaker !. D’abord, évidemment, il y a cette manière impertinente de contrarier l’ennoblissement un peu académique, dont était désormais victime l’art de Kitano, devenu quasiment indiscutable.
La deuxième raison réside dans l’humour du film lui-même, son invention, sa capacité à flirter avec le « n’importe quoi ».
On y croise, en sus des parodies cinématographiques, des catcheurs qui tiennent un restaurant et massacrent ceux qui se plaignent de la nourriture, un savant fou et constamment hilare qui propose des inventions délirantes, une mère et sa fille en quête de combines pour rencontrer un homme riche, et une foule de gags dont le sens peut facilement échapper au spectateur.
Enfin, il y a cette manière de retrouver, à l’intérieur de ce bric-à-brac, de ce kaléidoscope d’univers et de sensations, de ce « cubisme » cinématographique, au-delà de la parodie et du sarcasme, une certaine émotion, ce mélange unique de rire et de sensibilité qui fait la signature du réalisateur.
Le temps par exemple d’une partie de catch organisée par des enfants dans un ersatz de drame misérabiliste rural et qui acquiert soudain une épaisseur inattendue dans cette entreprise d’autodestruction joyeuse et mélancolique.
A ceux qui pensent qu’il y a deux Kitano, l’artiste et l’amuseur télévisuel qui, sous le nom de Beat Takeshi, anime des shows et des émissions de variétés un peu vulgaires, Glory to the Filmmaker ! proclame qu’ils ne sont qu’un.
Film japonais de Takeshi Kitano avec Beat Takeshi, Tohru Emori, Kayoko Kishimoto. (1 h 44.)
Jean-François Rauger
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