Cela fait quelques mois que je découvre avec mon fils les aventures de Chi, ce chaton on ne peut plus kawaii. À la parution de « Kuro, un cœur de chat » (chez Kana, クロ號 en japonais), je me suis dit, prête à passer mon chemin : « Tiens, encore une histoire de chaton perdu ». Heureusement le dessin, très « encre de chine », a retenu mon attention.
J’aime la façon dont Sugisaku peint ces petites bêtes et leurs émois, d’un trait simple et fluide qui rend bien le dynamisme d’un coup de patte furieux ou joueur. Les humains sont traités dans un style plus caricatural, à commencer par l’auteur et son frère aîné, le propriétaire de Kuro et de sa soeur Chinko, que ces derniers ont baptisé Hige (en raison de ses quelques poils au menton). Ce dessin peu léché reflète assez bien la place que les hommes tiennent dans la vie de ces chats : fondamentale à certains moments, marginale la plupart du temps.
Comme dans Chi, le point de vue narratif est celui d’un chaton perdu. Mais les similitudes s’arrêtent là. Sugisaku met en valeur le caractère sauvage que conserve un chat, même domestique, pour peu qu’on lui laisse un minimum de liberté : chasse, relation dominant-dominé, puberté, sexualité, marquage du territoire, le petit Kuro a beaucoup à apprendre, et la vie de chat n’est pas toute simple, ni franchement tendre. D’autant qu’à ces difficultés s’ajoute la cruauté des hommes : chatons séparés de leur mère et abandonnés, qui meurent parfois de froid et de faim, chats écrasés par les voitures, chats castrés, privés de leur vraie vie de chat : la main qui nourrit est souvent celle qui mutile, et la main-mise de l’homme sur la vie de ces animaux pousse à s’interroger sur les droits que nous nous octroyons, sans bien y réfléchir.
Vous l’aurez compris, si la couverture est pleine de petits chats mignons comme des cœurs, Sugisaku ne s’enferme pas dans les bons sentiments. Il décrit une vie de chats faite de solidarité et de bagarres, avec un rapport aux hommes plutôt alimentaire, dénué de tout attachement excessif. On est donc très loin de l’univers de Chi. Pour autant, la tendresse et l’humour sont bien présents, à travers une foule d’observations attentives et de détails cocasses qui donnent une vraie profondeur à ce manga.
La suite nous dira si le craintif Kuro parviendra à se faire respecter des autres chats et à courtiser Melle Yoshiko. Une chose est sûre, devenir « le boss » du quartier n’est pas une mince affaire ! À ce jour 2 tomes sont sortis (sens de lecture occidental) et trois sont encore à venir. Bonne lecture !