Jômon : une culture singulière en Asie, cet article complète notre parution du 11 février 2012.
La culture Jômon fait débat. Les spécialistes occidentaux du Japon protohistorique se heurtent à un problème de définition. Conventionnellement, la protohistoire est considérée comme une « préhistoire récente », recouvrant le Néolithique et l’âge des métaux. Ces sociétés sont caractérisées par une période de changements sociaux (sédentarisation et hiérarchisation des individus au sein d’un même « groupe » au sens large) et économiques (agriculture, troc souvent sur de vastes aires d’échanges) se fondant sur un rapport nouveau de l’homme à la nature (passage de la « prédation », pendant le Paléolithique à la « production », caractéristique propre du Néolithique). Or, la protohistoire nippone correspond, selon le découpage chronologique déterminé par les archéologues japonais, à des périodes culturelles associées à des données matérielles (poteries, tumulus).
Si la période précédente (Iwajuku) coïncide aux grandes lignes des changements techniques et culturels du Paléolithique, la période Jômon pose problème du point de vue de l’archéologie occidentale, car l’absence d’une société agraire (qui place l’agriculture au cœur du fonctionnement de la société) ne permet pas de caractériser la Jômon comme une culture du Néolithique. Certains auteurs (Laurent Nespoulous, Sahara Makoto, par exemple), la rattache aux caractéristiques communes du Mésolithique européen, dont l’évolution générale tendrait à la « néolithisation ». Point de vue qui met de préférence en avant les dynamiques sociales, davantage que les chronologies construites par les archéologues. De même le phénomène de télescopage technologique de la période Yayoi est une singularité de l’histoire japonaise : l’apparition synchrone du bronze et du fer font passer l’archipel de l’ « âge de pierre » à l’ « âge du fer », bien que culturellement (la pratique du dépôt d’objets en bronze), elle pourrait se rattacher à l’ « âge du bronze » européen. La situation géographique (l’insularité) et un retard technologique dû à un climat peu favorable à l’agriculture pourraient expliquer ces hiatus de développement comparativement au continent : la protohistoire japonaise peut être ,si l’on observe les changements généraux survenus pendant la protohistoire, un cas singulier. Si l’on observe le développement général des sociétés protohistoriques, il est également permis de considérer cette période comme un passage d’une société de chasseurs-cueilleurs simple à une société de chasseurs-cueilleurs complexe (théorie de Brian Hayden).
L’archéologie au Japon : un développement exceptionnel sur fond d’utilitarisme politique ?
Les méthodes de l’archéologie moderne ont été importées au Japon à la fin du XIXe siècle par le biologiste nord-américain Edward Sylvester Morse (1838-1925). Avant lui, la Préhistoire et l’Histoire ancienne étaient l’apanage de particuliers aisés, érudits et antiquaires, souvent les auteurs de traductions et de catalogues raisonnés s’appuyant sur des méthodes de classification et description assez proches de l’archéologie moderne. Edward Sylverster Morse a encadré les fouilles du site tokyoïte de Omori en 1877 et de Okadaira (préfecture de Ibaragi) en 1879 et formé la première génération d’archéologues professionnels japonais. Toutefois, cette professionnalisation, certes centrée sur le corps du métier a négligé ,jusqu’aux quarante dernières années environ, l’analyse des textes et l’exploitation des autres sources auxiliaires à la compréhension du passé. Un intérêt nouveau pour le passé préhistorique asiatique et nippon a suscité des synergies entre spécialistes japonais et anglo-saxons, bouleversé les perspectives (les échelles spatio-temporelles) et les approches méthodologiques (archéologie, anthropologie, sociologie, ethnologie) et ouvert, à partir des années 1970, une brèche dans le maquis des publications érudites nippones portant sur ces questions. Une nouvelle génération de chercheurs s’est efforcée de mettre en lumière les liens existants entre les populations protohistoriques de l’Extrême-Orient, prônant une approche régionale et une ouverture de l’archéologie japonaise aux cultures protohistoriques étrangères.
L’archéologie est souvent jugé comme étant un milieu « conservateur », il est difficile d’être aussi péremptoire à l’égard de cette profession. Mais il est vrai que cette science peut servir de soutien et de légitimation au service des États, pouvant dériver dans certains cas en outil de propagande nationaliste. L’ombre de l’impérialisme japonais (et du rôle moteur de la sacralité de l’empereur légitimant celui-ci) ont pesé sur l’écriture de l’histoire et le métier d’archéologue : l’archéologie a, par exemple, été introduite en Corée à l’époque coloniale dans un but de légitimation de la conquête japonaise. Aujourd’hui encore, les tombes de la période Kôfun, supposée contenir les dépouilles des ancêtres de la famille régnante, ne peuvent faire l’objet de fouilles sans l’agrément de la Maison impériale. Ce qui est le cas pour l’un des deux tumuli du site d’Odanaka-shinnouzuka (préfecture d’Ishikawa). Ce contexte politique singulier explique l’apparition, dans les années 1970, d’une génération d’archéologues d’inspiration marxiste (le plus connu est Yoshimichi Watanabe, membre du parti communiste japonais, emprisonné en 1928), contestant l’écriture officielle de l’histoire antique, instrument de légitimation du régime impérial.
Toutefois, ces critiques fondées d’un point de vue scientifique occidental mériteraient cependant d’être révisées pour prendre en considération la conception de la société par les Japonais eux-mêmes, lesquels accordent une place importante à leur Souverain, en temps que symbole vivant de leur pays, à l’heure même où le Japon a constitutionnellement renoncé à toute politique d’agression. Il existerait peut-être deux « écoles », deux conceptions de l’archéologie japonaise en particulier et de l’archéologie en général : un clivage net oppose une vision identitaire et locale à une vision multirégionale, voire globale, sur fond de mondialisation économique et de débat sur l’identité culturelle des peuples face à ce phénomène planétaire (Ces tendances opposées sont nettes dans la société japonaise, qui hésiterait entre « tradition » et « ouverture », car déchirée socialement par les inégalités que crée le libéralisme économique).
La culture Jômon : quelques points de repères
L’épanouissement de cette culture est le fruit d’un changement climatique du Quaternaire favorable aux migrations (une glaciation réduisant le volume et le niveau des océans) et aux développements de sociétés humaines complexes (réchauffement général propice aux cultures, amorcé il y a 10 000 ans). Le climat « post-glaciaire » se caractérise par une phase de hausse générale des températures (entrecoupée cependant de périodes froides), la disparition de la végétation subarctique sur l’essentiel de l’archipel et une transgression marine. Le monde animal et végétal évolua au diapason du climat : parmi les espèces animales ne se perpétuèrent que les mammifères de taille moyenne ou basse (les quadrupèdes vertébrés de haute stature disparaissent sous l’effet conjugué du réchauffement et de la chasse.)
La présence humaine en Asie est ancienne : des squelettes d’homo erectus (1 million à 1,3 million d’années) ont été retrouvés en Chine (Zhoukoudian). Les mobiliers lithiques relevés en différents points des îles japonaises (sites d’Hoshino, de Sozudai, de Nakamine, etc.) et surtout l’absence d’ossements de cet ancêtre de l’homme laissent en suspens la question d’une colonisation de l’archipel par cet espèce d’hominidé sans pour autant nier l’existence de contacts entre la dorsale montagneuse japonaise et le continent asiatique, du fait de la glaciation. L’homo erectus sera ensuite remplacé à une échelle planétaire par l’homo sapiens (entre 100 000 et 45 000 ans). L’origine de l’homo sapiens est controversée : la première hypothèse serait qu’une seconde migration humaine partie depuis le sol africain se serait substituée à l’homo erectus à l’échelle planétaire (hypothèse du remplacement); la seconde prône une évolution locale de l’espèce homo (hypothèse du développement indigène). Le front pionnier des populations venues de l’Asie méridionale et orientale, ont pris pied sur l’archipel japonais par quatre voies d’accès (au minimum) : par la péninsule coréenne, via l’île de Tsushima et le détroit du même nom ; par le sud de l’archipel, via l’alignement d’îles partant de Taïwan remontant vers Kyûushû, en passant par les îles Ryukyu ; au nord, deux voies permettent de s’acheminer sur l’île de Hôkkaidô à partir de la Sibérie, la grande île de Sakhaline et la presqu’île du Kamchakta et le chapelet d’îles des Kouriles. Même après la fonte des glaciers et la montée générale des eaux, le bras de mer de 180 km de large séparant la péninsule coréenne de l’archipel nippon, bien qu’étant un frein au flux humains, n’était pas un obstacle insurmontable pour les navigateurs de la période protohistorique qui cabotaient entre les îlots reliant les îles au continent à l’âge glaciaire et se guidaient à l’aide d’amers.
Du point de vue des techniques, le Paléolithique japonais est une période d’innovations significatives. Pendant la phase terminale du Paléolithique postérieur (12 000-10 000 ans) s’opèrent des changements technologiques se confondant (d’un point de vue théorique) localement et progressivement avec le proto-Jômon (apparition de la poterie). Les archéologues ont constaté, dès le Paléolithique moyen, le développement de cultures assez homogènes sur le continent asiatique entre le 35e et le 40e parallèle, mais les changements survenus au Paléolithique supérieur sur l’archipel japonais seraient des adaptations indigènes aux évolutions climatiques.
Le passage du Paléolithique à la culture Jômon est marqué par l’usage de la poterie et une tendance progressive à la sédentarité, et ceci sur tout l’espace asiatique. Ont coexistées les cultures Shengwen (Chine), Chulmun (Corée) et Jômon, toutes associées à un style de fabrication de céramiques et d’un mode de vie sédentaire. Les poteries à cordons (ou « Jômon ») seraient, selon certains spécialistes, les doyennes de l’Humanité, mais le sujet est controversé . La date de leur apparition a été récemment réajustée, elles remonteraient, selon la professeure Junko Habu, à environ 16 500 ans (ce qui bouleverse les chronologies actuelles). Elles seraient apparentées à un modèle produit à une date ultérieure (11 000 ans av. JC) dont des fragments ont été excavés sur les berges du fleuve Amour (Russie). Il s’agirait plutôt d’une révolution de forme (manufacture de contenants), car l’usage de la terre cuite (pour la fabrication de statuettes d’argile) est antérieure en Europe Orientale (28 000-27 000 bp).
La période a été subdivisée en six principales sous-périodes (connaissant elles-mêmes des subdivisions internes) par les archéologues nippons permettant de dégager les principales phases de l’évolution technique et culturelle de la période : le Jômon initial (proto-Jômon, selon d’autres auteurs, 10 000 à 8 000 ans), précoce (ou archaïque, 8 000-6 000 ans), antérieur (ou ancien, 6 000-3 000 ans), moyen (3 000-2 000 ans), postérieur (ou récent, 2 000-1 000 ans) et final (1 000-500 ans). Ces subdivisions reflètent des changements qu’ont connus ces sociétés avec leurs disparités régionales dans le temps, bien que partageant le tronc commun technologique de poterie à cordes (qui n’est d’ailleurs point utilisée systématiquement aux différents points de l’archipel). La culture Jômon sera progressivement subjuguée par les apports de migrants venue du continent (Ve siècle av. JC), importateurs de technologies (riziculture, bronze) et d’une culture nouvelles.
La poterie a tenu un rôle important dans cette culture, employée pour la cuisson lente et à la conservation des fruits de la cueillette, ce qui a pour principal effet d’améliorer les conditions sanitaires et l’espérance de vie, sans parler de la sédentarisation. Une amorce d’agriculture et de sylviculture a été relevée par les archéologues en différents isolats surtout sur la façade occidentale des îles principales, mais ces cultures marginales ne constituent pas le régime principal de la population et le cycle saisonnier des collectes d’aliments et de la chasse rendent les hommes tributaires de la régularité de la générosité de la nature.
Les communautés n’étaient pas totalement autarciques : des liens de proximité ont existé, comme en témoignent les changements et les parentés stylistiques dans les productions artisanales. L’amélioration de la qualité des produits artisanaux, la présence de produits finis exhumés en des sites éloignés de leur lieu de production prouvent l’existence d’une économie d’échanges (déjà constatée au Paléolithique, mais d’une plus grande ampleur), de spécialisation et de gestion des surplus dans une société qui se structure (et génère des inégalités sociales plus prononcées) et se complexifie. Il n’existe, selon certains auteurs, aucune trace archéologique significative d’une hiérarchisation pérenne entre les individus, mais le doute subsiste (des indices de distinction sociale verticale ont été relevées sur certains sites fouillés, notamment les tombes en cercles de pierre).
Article de Rémy Valat
Sources exploitées pour cet article :
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The main problem with archaeology in Japan is illegal mid-dating. This happened a decade ago with some pottery in the Northeast (Tohoku). A more international approach to scrutiny is certainly required here.
Sorry: mis-dating not mid