Vous savez, chers lecteurs, que cette colonne s’est ouverte à la Chine et à l’Inde. Désormais, “Le mot de la semaine”, longtemps dédié au seul Japon, reflète davantage la réalité du continent asiatique – réalité qui renvoie à l’irrépressible élan dont sont porteurs les deux géants de l’Asie, mais aussi à l’essoufflement de l’archipel. En tout cas, lorsque Courrier international a lancé cette rubrique, en 1990, nul ne pensait, à commencer par les Japonais eux-mêmes, qu’un jour viendrait où le mot hinkon – “pauvreté” – se trouverait associé à la société nippone. La pauvreté, c’est l’Afrique, c’est l’Asie du Sud-Est, voire le Japon au sortir de la guerre du Pacifique, se disait-on alors. Or, en l’espace d’une décennie, des années 1997-1998 à aujourd’hui, l’inégalité s’est bel et bien installée ; depuis peu, on assiste à une avalanche de discours insistant sur la précarisation des individus, en particulier des jeunes, et leur basculement dans la pauvreté. Sans entrer dans le vaste débat qui touche à sa définition, on peut estimer à 10 millions l’effectif de ceux qui ne disposent plus du revenu minimum nécessaire pour assurer une vie décente, dont 15 % seulement bénéficient d’une aide de l’Assistance publique. Si cet état de fait est inquiétant, le processus de fragilisation tous azimuts des Japonais, voulu par le gouvernement conservateur, l’est encore davantage : il sape la notion même de solidarité et maintient le démuni dans un désespoir sans issue. D’où l’idée, véritable gifle infligée aux bien-pensants de tous bords, avancée par Tomohiro Akagi, jeune précaire de 31 ans, dans les pages du mensuel Ronza : plutôt la guerre, dont la souffrance est partagée par tous, qu’une paix qui ne profite qu’aux nantis. Une façon comme une autre de s’exclamer : mais où est donc passée la gauche ?
Kazuhiko Yatabe
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