Si le roman tapé depuis un téléphone portable était considéré comme un sous-genre au Japon, sa republication au format papier en fait une réussite capable de se hisser au niveau des meilleures ventes et de menacer l’édition traditionnelle.
japon-drapeau.pngLe New York Times présente un article intéressant sur l’évolution des mentalités japonaises concernant l’édition. Les romans sur mobiles, tapés depuis le clavier numérique d’un téléphone portable et lu sur les petits écrans avant d’être édités en version papier pour les plus populaires, est en train de gagner ses galons de forme artistique à part entière, au point de menacer l’écosystème du « romancier » classique.
Pour la première fois l’année dernière, cinq romans mobiles, reconnaissables à leurs phrases courtes adaptées à la lecture sur téléphone portable et au faible développement de l’intrigue et des personnages, se sont placés dans le Top 10 des meilleures ventes de romans sur l’Ile du Soleil Levant.
Pire encore, trois de ces ouvrages ont été rédigés par de parfaits inconnus, mettant à mal le modèle de l’écrivain gagnant peu à peu la reconnaissance du public en construisant un ensemble d’oeuvres avec son propre style.
Une mutation générationnelle
Pour le monde établi de l’édition, cette nouvelle forme de littérature, considérée comme de faible qualité avec ses trames à peu près identiques d’histoire d’amour finissant plus ou moins bien, trouve le succès auprès d’une génération gavée de manga et de bande dessinée et accélère le déclin de la littérature japonaise.
Le roman sur mobile n’existe en tant que tel que depuis moins de cinq ans mais a trouvé très rapidement son public et compte maintenant une offre d’un million de titres, sous forme de contenu généré par les utilisateurs ( ou user-generated content ) sur les plus gros sites de téléchargement.
roman mobileSon succès s’est confirmé quand les opérateurs mobiles se sont décidés à proposer des abonnements avec trafic data illimité en 2004, chez NTT DoCoMo notamment, au moment où la première tranche d’âge de population utilisant le téléphone portable comme un prolongement de soi arrivait à maturité, avec leur capacité à taper des messages sur un clavier numérique avec une facilité déconcertante et avec leurs codes linguistiques à base de smileys et d’expressions incompréhensibles pour leurs aînés.
L’apparition du roman écrit sur mobile ne serait donc que le prolongement de l’utilisation intensive du téléphone portable, dans la continuité des messages et emails envoyés au quotidien et employant les mêmes formes d’écriture que ceux-ci.
Evolution littéraire ou agonie de l’écriture ?
Même le modèle économique est atypique puisque ces romanciers d’un nouveau genre ne gagnent de l’argent que lorsque leurs ouvrages sont édités en version papier. Tout juste disposent-ils d’un accès gratuit aux sites de téléchargement qui hébergent leurs oeuvres.
La plupart de ces romans sont écrits à la première personne et construits à la manière de journaux intimes. Beaucoup d’auteurs sont des femmes, évoquant des histoires d’amour torturées et laissant beaucoup de place aux dialogues. Description des lieux, des ambiances ou des personnages sont généralement rapidement évacuées.
Si l’édition traditionnelle ne peut plus ignorer ce genre, elle aimerait le catégoriser dans la même case que les mangas et la littérature populaire. De leur côté, les nouveaux auteurs estiment que les romans classique n’attirent plus leur génération, avec leurs phrases alambiquées, leurs expressions relevant de l’équilibrisme linguistique et leur intrigue n’évoquant pas grand-chose de familier.
Comme la musique, les images et les vidéos, l’écriture semble donc suivre la même évolution et se transformer en un véhicule informatif de masse, produit en grandes quantités par ceux-là même qui le consomment, avec ses propres codes et son style, dédaignant les usages antérieurs, au risque de sombrer dans ce que certains appellent déjà la production d’un « art moyen », réalisable par tous et pour tous mais aseptisé et fruit de normes parfaitement identifiées. La mort de l’émotion renouvelée ou la naissance de l’écriture de masse ?
Source : The New York Times et generation-nt.com