A l’occasion de l’enregistrement au Patrimoine mondial des « Sites de la révolution industrielle de Meiji » en juillet 2015, Japoninfos propose de développer un point jusqu’alors peu abordé: la stratégie japonaise de promotion internationale par le biais de l’UNESCO.
Nous l’avions annoncé au début de ce mois-ci : le Japon voit pour la troisième année consécutive un de ses ensembles architecturaux inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le groupe des « sites de la révolution industrielle de Meiji » représente ainsi le 19e bien japonais enregistré dans le prestigieux référentiel onusien. Or le choix de ces sites reflète à l’évidence des tendances – sinon des enjeux – exprimées par Tôkyô concernant la valorisation de son territoire, que nous souhaiterions souligner ici.
Tout d’abord, notons que si ce 19e ensemble réunit 23 lieux, 15 d’entre eux se trouvent sur l’île de Kyûshû. Ce sont donc les premiers sites de Kyûshû étiquetés par le label de l’UNESCO. Jusqu’alors, les biens architecturaux inscrits au Patrimoine mondial étaient situés essentiellement au centre du pays, ce qui témoigne d’une volonté de la part de Tôkyô à mieux répartir ses espaces « de renommée internationale » à travers l’ensemble du territoire.
Ensuite, précisons que cette tendance n’a débuté qu’en 1993, soit un an après que le Japon ait ratifié la Charte du Patrimoine Mondial de l’UNESCO instaurée en 1972. Jusqu’aux années 90, les politiques touristiques nationales favorisent le tourisme des Japonais à l’étranger et à l’intérieur du territoire, négligeant les touristes étrangers. Mais avec la récession économique et les pressions des partenaires étrangers à ouvrir l’Archipel aux capitaux étrangers (parmi lesquelles, les dépenses des touristes étrangers), Tôkyô reconsidère nettement son potentiel d’attraction et s’engage dans un processus d’amélioration de son rayonnement international, notamment via l’UNESCO. Trois ans seulement après la ratification de la Charte, 6 sites japonais rentrent dans la Liste, suivit de 7 sites entre 1996 et 2005, puis de 6 sites entre 2006 et 2015.
Cette augmentation plutôt régulière s’explique par l’action des représentants japonais au Comité du Patrimoine mondial dès 1993. A l’exception des sites du département d’Okinawa (2000), tous les biens de l’Archipel ont été inscrits sur la prestigieuse liste durant les trois mandats japonais au Comité (1993-1999, 2003-2007 et 2011-2015). En parallèle, les représentants japonais jouent un rôle-clé dans la révision de la Charte de l’UNESCO en 1999, qui étoffe le concept de culture en y incluant par exemple la notion de « patrimoine immatériel ». La même année, le poste de directeur général de l’UNESCO est confié à l’ancien ambassadeur du Japon à Paris, Matsuura Koichirô, sous l’impulsion duquel est votée en 2001 la Charte universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle[1].A travers l’exemple de l’UNESCO, nous voyons que le Japon exerce une influence considérable sur l’organisme onusien (dont il reste le second pourvoyeur de fonds), et qu’à l’inverse, celui-ci labélise un nombre croissant de sites japonais à travers sa liste du Patrimoine.
Accroitre le rayonnement international de l’Archipel répond à différents enjeux visant à développer la compétitivité du pays, et ce à différentes échelles. Au niveau local, augmenter le nombre de sites inscrits au Patrimoine mondial revient à ajouter une plus-value au Japon en tant que destination touristique[2]. Au niveau régional, cette logique rentre de plein pied dans la compétition engagée avec les autres pays asiatiques sur l’augmentation des arrivées de touristes. En 2015, l’Asie-Pacifique est la seconde zone touristique la plus attractive au monde. Elle concentre 238 des sites enregistrés au Patrimoine mondiale (23% du total mondial), dont 13 pays d’Asie Orientale totalisant 118 sites (11%). Parmi eux, la Chine, le Japon et la Corée du Sud n’en réunissent pas moins des deux tiers. Formant le trio de tête, ces trois pays se sont lancés dans une véritable course à la reconnaissance international, puisqu’ils ont chacun triplé le nombre de leurs sites au Patrimoine Mondiale en près de 20 ans (alors qu’au niveau mondial, le nombre de site a « seulement » doublé sur la même période). Cependant, la Chine reste de loin hégémon en la matière : avec 48 sites, elle trône à la deuxième place mondiale des pays ayant le plus de sites enregistrés au Patrimoine de l’UNESCO après l’Italie, tandis que le Japon figure modestement à la 14e place.
La labellisation onusienne du patrimoine japonais renvoie bel et bien à la question du rayonnement de l’Archipel, du moins de son attractivité culturelle. Le processus est déjà bien avancé, comme en témoigne d’autres exemples que les seuls sites touristiques : la cuisine japonaise a également été enregistrée au Patrimoine mondial en 2013, devenant la seconde cuisine nationale à gagner ce statut, après la gastronomie française en 2010.
Mike Perez pour Japon Infos – Sources : Unesco, 2015.
[1]COUSIN Saskia (2008). L’UNESCO et la doctrine du tourisme culturel. Civilisations, 57, 41-56.
[2] TERAMAE Shuichi (2008). Chiiki kankô seisaku ni kansuru kôsatsu [Examen critique sur les politiques touristiques locales au Japon]. Cahier de recherches sur les politiques locales, Université d’Economie de Takasaki, 11-1, 21-40.