La mort par excès de travail, un problème endémique
Dans le cadre des mesures d’urgence « Zéro heures supplémentaires » décidées fin 2016, le ministère de la Santé a divulgué pour la première fois en mai une liste des « entreprises noires » (burakku kigyô), c’est-à-dire les sociétés poursuivies pour violation de la loi relative aux normes du travail.
Cette initiative est le résultat du problème endémique des heures supplémentaires au Japon. Bien que le nombre d’heures travaillées dans l’année soit passé de 1 900 dans les années 1990 à 1 700 aujourd’hui, cela est dû à l’augmentation des travailleurs précaires. En réalité, les salariés en CDI travaillent plus de 2 000 heures par an. Si en théorie le plafond des heures supplémentaires est fixé à 45 heures par semaine, ou 360 heures annuelles, les recommandations du gouvernement n’ont aucun effet contraignant et les accords collectifs permettent de le contourner. Rien qu’en 2015, le nombre de personnes souffrant de troubles psychiques reconnus comme un accident du travail s’est accru de 30 %. En outre, 23% des entreprises consultées signalent que certains de leurs employés à temps plein effectuent plus de 80 heures supplémentaires chaque mois, un seuil au-delà duquel le risque de mort par surmenage, « karôshi », augmente sensiblement. Adopté par le gouvernement nippon le 7 octobre dernier, le premier Livre blanc consacré au karôshi confirme que les conditions de travail des employés du pays ne font que s’aggraver. D’après ce document, le surmenage cause chaque année la mort d’environ 200 personnes par crise cardiaque, accident vasculaire cérébral ou suicide. À cela s’ajoutent de nombreux problèmes de santé graves. Devant les lacunes du système, en avril 2015, le gouvernement a mis en place deux cellules spéciales à Tôkyô et Ôsaka pour contrer le surmenage au travail.
La pénurie de main d’œuvre s’accentue
Au Japon, tandis que la population en âge de travailler ne cesse de décroître, le marché du travail se trouve dans une impasse.
La population active est passée de 87,2 millions à son pic en 1995 à 77,2 millions en 2005. On estime qu’elle sera de 70,8 millions en 2025 où il manquera 5,83 millions de travailleurs sur le marché de l’emploi. Les secteurs de la restauration et de la distribution, qui emploient principalement des intérimaires et des travailleurs à temps partiel, souffrent le plus de ce manque de main d’œuvre.
Automatiser les tâches pour réduire le besoin de main d’œuvre
L’automatisation des tâches, c’est la solution notamment imaginée par les trois sociétés de supérettes ouvertes 24h/24 : 7-Eleven, FamilyMart et Lawson. Le Japon compte environ 55 000 magasins de proximité (konbini) dans tout le pays – soit environ un pour 2 300 personnes – et chaque magasin tourne avec environ 20 personnes à temps partiel. Afin de réduire ses effectifs, Yamato, le livreur officiel d’Amazon depuis le printemps 2013, mise également sur l’automatisation des tâches. La pénurie de livreurs avait conduit la société à faire appel à des sous-traitants, un choix qui avait bridé les résultats de l’entreprise. Yamato et Amazon ont alors lancé conjointement un programme de consignes-colis automatiques. Ainsi la société a signé une joint-venture avec le Français Neopost, l’objectif étant d’installer 5 000 consignes d’ici 2022. D’autres prennent des mesures plus radicales en réduisant les heures d’ouverture, comme McDonald’s Japan, normalement ouvert 24h/24, ou des Family Restaurant.
Le recours aux “ stagiaires ” étrangers ou les dérives de l’esclavage moderne
Autre solution pour renforcer la main d’œuvre, l’appel aux étrangers. Ainsi la plupart des « stagiaires internes techniques » supposés apprendre un métier au Japon viennent de pays asiatiques comme la Chine et le Vietnam. Ils travaillent généralement dans des endroits qui peinent à trouver de la main d‘œuvre, comme les petites usines ou les exploitations agricoles. Selon le ministère, environ 35 000 entreprises ont ainsi accueilli des stagiaires à la fin de l‘année 2015. Cependant, près de 3 700 entreprises qui ont eu recours à des « stagiaires internes techniques » étrangers en 2015 étaient en violation avec les lois japonaises, selon une inspection effectuée auprès de 5 173 entreprises par le ministère de la Santé, du Travail et du Bien-être. Les délits de ces entreprises concernaient le défaut de paiement des heures supplémentaires et des conditions de travail jugées trop dangereuses. Par conséquent, 27 stagiaires sont décédés en 2013 dans l’exercice de leur travail. Dans 30% des cas, les décès étaient dus au surmenage. Enfin, beaucoup de ces stagiaires s’enfuient. D’après le ministère de la Justice, 4 581 ont disparu en 2014, un chiffre en nette hausse par rapport à l’année précédente. Ils étaient 3 567.
L’emploi des femmes comme solution envisagée
En décembre 2016, la Banque mondiale a avancé une toute autre solution pour faire face à cette grave pénurie de main d’œuvre : encourager l’emploi des femmes. Le même mois, le Parti Libéral Démocrate (parti au pouvoir) et le Kômeitô ont défini leur projet commun de relèvement du plafond de revenus des femmes au foyer, au-delà duquel les allègements fiscaux pour le foyer dans son ensemble sont supprimés : la mesure vise à favoriser l’emploi des femmes, actuellement découragées par la fiscalité. Elle n’est toutefois pas assez ambitieuse selon certains observateurs.