Le tatouage vu dans d’autres pays d’Asie
Marco polo, dans le récit de ses voyages, note qu’au Laos et en Birmanie tous les gens sont tatoués à l’aiguille tout le long du corps, et que dans le Yunnan (Chine du Sud), les hommes ont piqué sur leurs bras et sur leurs jambes des bandes de couleurs considérées comme une manifestation d’élégance et un signe de bonne naissance.
De nos jours en Chine, le tatouage est toléré, mais seulement à Hong Kong. Avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine, la clientèle des tatoueurs était composée essentiellement de soldats anglais.
Les Thaïlandais et les Cambodgiens procèdent pour leurs tatouages par grattage à l’aide d’un instrument muni de pointes effilées. Les pigments utilisés jadis provenaient du noir de fumée, de cendres, de substances organiques ou végétales mélangées à de l’eau, de l’alcool, du sang.
Au Tibet, les tatouages accompagnent les périodes difficiles de la vie, puberté, maternité, maladie ainsi que deuil.
Il peut être considéré comme un talisman du type de ceux portés par le peuple Karen lors de la lutte pour son indépendance contre l’armée birmane, le tatouage devant arrêter les balles de l’ennemi.
La technique du tatouage traditionnel japonais porte plusieurs noms, irezumi ou horimono. Horimono désigne l’ensemble des tatouages. Cependant, irezumi est le terme utilisé en général pour désigner le tatouage traditionnel couvrant de larges parties du corps, et pouvant aller jusqu’au « tatouage intégral » typiquement japonais, qui habille le corps comme une seconde peau. De tels motifs représentent de véritables oeuvres d’art au coût élevé. Il existe ainsi des maîtres et des disciples, formant des « écoles » artistiques au même titre que pour d’autres formes d’art.
Le tatouage japonais renvoie dans l’inconscient collectif au monde des yakuza, la mafia japonaise. Pourtant le tatouage au Japon a une histoire bien plus ancienne. La symbolique accordée au tatouage a fortement évolué au cours des siècles.
Dans une première partie nous verrons un rapide historique de cette pratique au Japon, puis nous examinerons la technique et la symbolique qui s’y rattache.
Les yakusa et le tatouage
En dépit des efforts du gouvernement pour essayer de le supprimer, le tatouage continua de fleurir parmi les pompiers, porteurs de palanquins et autres métiers populaires. Il était particulièrement apprécié par les gangs de joueurs (jeux d’argent) appelés yakusa. Les membres de ces gangs étaient recrutés parmi les bas-fonds des hors-la-loi. Bien que les yakusa fussent engagés dans des activités illégales et semi-illégales, ils adhéraient à un code strict de l’honneur qui prohibait tout crime contre le peuple.
Comme les samouraïs, ils avaient la fierté de pouvoir endurer la douleur et la privation, et quand la loyauté le demandait, ils étaient prêts à se sacrifier pour protéger leur gang.
Les yakusa exprimèrent cet idéal par le tatouage, car celui-ci est douloureux, preuve de courage, et il est permanent. En outre, le tatouage était l’évidence de l’appartenance au gang et, parce qu’il était illégal, faisait d’eux des hors-la-loi à jamais.
1 – HISTORIQUE DU TATOUAGE JAPONAIS
Le tatouage japonais est le fruit d’une longue évolution dans le temps.
Les recherches historiques semblent montrer que les Aïnous, population pionnière du Japon, portaient déjà des tatouages faciaux dès l’ère Jomon (-10000 à -300 av. JC), comme symbole d’appartenance à un clan ou un métier particulier. Les femmes avaient également des tatouages, à valeur rituelle : une fois mariées, un tatouage en forme de « moustache » indiquait leur statut d’épouses. D’autre part, dans les îles Ryûkyû, combinant influences taiwanaise et japonaise, des tatouages rituels se faisaient sur les mains.
Aux IIIème et IVème siècles, certaines chroniques chinoises évoquent des pêcheurs japonais au corps entièrement tatoué, pratique apparemment sans connotation religieuse ou rituelle. Du point de vue de la culture lettrée chinoise, le tatouage était une pratique jugée barbare et infâmante ; or la culture chinoise allait progressivement devenir l’influence majeure pour les élites aristocratiques japonaises.
Au VIIIème siècle, les premiers ouvrages imprimés japonais apparaissent. Le Kojiki, écrit en 712, mentionne deux catégories de tatouages, l’un noble, réservé aux personnes illustres, et l’autre au contraire dégradant, réservé aux criminels.
L’arrivée du bouddhisme et des doctrines confucéennes au Japon (VIème siècle) coïncide avec un changement radical de perception du tatouage. Venu de Chine par la Corée, le bouddhisme amenait avec lui une forte part d’influence culturelle chinoise et le tatouage prit une connotation négative. Ainsi, le tatouage s’est mis à désigner des groupes sociaux en marge ; ainsi, par exemple ceux à qui l’on avait apposé le tatouage comme peine judiciaire. Les résidentes des quartiers de plaisir, également, comptaient parmi ces groupes sociaux. Les yujo (prostituées) et les geisha de rang inférieur devinrent adeptes de cette pratique nommée irebokuro à l’époque Edo, alors que les geisha et courtisanes de haut rang la dédaignaient.
Lors des guerres civiles du Sengoku jidai (le XVIème siècle japonais), certains samouraïs se faisaient tatouer le symbole de leur clan sur le bras ou le corps. Lors des batailles, cette méthode permettait d’identifier à coup sûr les cadavres à une époque où les armures étaient volées et où l’on avait l’habitude de couper les têtes des ennemis…
Enfin, certaines catégories professionnelles utilisaient le tatouage comme une marque de leur corporation. Les pompiers d’Edo, par exemple, affectionnaient les tatouages, particulièrement les dragons, créatures aquatiques donc susceptibles de les protéger dans leur travail dangereux.
Comme on l’a vu plus haut dans le Kojiki, les autorités ont progressivement utilisé le marqueur visuel qu’était le tatouage comme une punition pour les criminels : l’apposition du tatouage était une marque d’infamie stigmatisant officiellement et définitivement les coupables. Mis au ban de la société, ceux-ci avaient tendance à se regrouper, point de base de la création des groupes yakuza. Le tatouage pénal consistait souvent en anneaux noirs autour du bras ou en kanji sur le front, répertoriant les délits commis. La peine officielle du tatouage fut instituée en 1720 pour remplacer les peines d’amputation, et la pratique restera jusqu’à l’interdiction totale du tatouage par le gouvernement Meiji en 1870. Cette interdiction entrait dans la politique de rénovation Meiji dans la mesure où le tatouage était perçu comme une pratique de la société féodale, peu compatible avec l’ouverture aux idées occidentales.
Cependant, la mesure ne touchait que les Japonais eux-mêmes ; l’arrivée des Occidentaux permit aux maîtres tatoueurs d’exporter leur art par l’intermédiaire des marins séjournant au Japon, même si cette diffusion était limitée. Certains auteurs évoquent même des maîtres de l’époque (ainsi, Horichyo) tatouant des aristocrates occidentaux et des chefs d’Etat. Il faudra attendre 1948 pour que l’interdiction soit levée nationalement, mais la réprobation du tatouage persistait dans les mentalités.
Au Japon même, la diffusion de la technique traditionnelle à un plus large public a été (et est toujours) particulièrement difficile du fait du tabou qui est associé. En même temps, les tatouages occidentaux sont désormais aussi connus dans l’archipel. Cependant, grâce à l’initiative de quelques pionniers, dont le maître Horiuno au tournant du XXème siècle, un des grands noms de l’irezumi moderne, un grand nombre d’apprentis tatoueurs a pu être formé. Aujourd’hui, des conventions de tatouages ont lieu à Tôkyô et quelques tatoueurs de la nouvelle génération commencent à proposer à nouveau des motifs traditionnels.
2.TECHNIQUE ET SYMBOLIQUE DU TATOUAGE
Le tatouage japonais, contrairement à son homologue occidental, est entièrement fait à la main. On utilise toujours de fines aiguilles, de l’encre de charbon et des pigments de couleur. L’outil du tatoueur est une sorte de manche en pointe, en général en métal mais autrefois en bambou, au bout duquel sont insérées ces aiguilles. Le nombre d’aiguilles utilisé dépend de la taille du tatouage. Quand aux couleurs, les pigments sont souvent importés. Le tatoueur doit connaître exactement le rendu de chaque pigment. Certaines oeuvres demandent plusieurs années de travail et représentent une fortune sur le plan financier. En outre, la méthode traditionnelle est réputée pour être très douloureuse. Tout ceci implique une forte détermination et une dépense en temps et en argent du « client » potentiel !
Cependant, de nos jours, seul un nombre réduit de tatoueurs pratiquent cet art appelé tebori (tatouage à la main) qui nécessite des techniques et connaissances spéciales. Maître Horiyoshi III, une figure emblématique de l’irezumi actuel, est l’un de ceux qui ont modernisé cet art. Si le tatouage en lui-même reste fait à la main, il a introduit l’usage du dermographe électrique pour le tracé des grandes lignes, ainsi que l’emploi de techniques d’ombrage occidentales. Il est également propriétaire du Tatoo Museum de Yokohama, une vitrine permettant de diffuser cet art si particulier. Le domaine ayant le plus progressé est celui des méthodes de stérilisation et d’hygiène, qui sont maintenant comparables à celles utilisées en hôpital.
Les premiers tatouages décoratifs étaient exécutés sur le dos uniquement. Puis progressivement, les motifs ont commencé à recouvrir les bras, épaules, etc. et finalement le corps tout entier, aboutissant au « tatouage intégral ».
Les motifs du tatouage japonais sont influencés par les arts traditionnels, les histoires populaires, la religion. Historiquement c’est devenu un art à part entière pour les couches inférieures de la société. On estime que le tatouage décoratif, c’est-à-dire non pénal et non rituel, apparaît à l’ère Horeki (1751-1764), soit une période relativement récente.
Un exemple d’influence de la littérature populaire sur le tatouage est le thème du « bandit d’honneur » tiré du livre Suikoden. Il s’agit de la version japonaise (du XVIIIème siècle) du roman chinois classique Shui Hu Zhuan racontant les aventures d’une bande de brigands chinois redresseurs de torts. Ces héros étaient très populaires au Japon et certains portaient eux-mêmes des tatouages.
Les motifs animaliers sont aussi très présents, comme les dragons, les tigres ou les carpes, chacun étant associé à une qualité particulière.
Une autre influence majeure est celle du monde de l’ukiyo-e, l’estampe japonaise, qui a renouvelé le tatouage japonais. Le style graphique de certains artistes d’estampes, l’emploi et le choix des couleurs, a constitué un modèle direct pour les tatouages. Il est intéressant de noter que dans les deux techniques (estampe et tatouage), on a affaire à un art d’essence populaire qui n’était pas réservé à l’aristocratie.
En ce qui concerne les groupes yakuza, l’irezumi est traditionnellement un signe de reconnaissance. Les deux auteurs Kaplan et Dubro, spécialistes du monde yakuza, estiment qu’environ 73% des yakuza actuels sont tatoués. Se faire tatouer constitue un test d’endurance et de courage étant donné la méthode particulièrement douloureuse. En outre, c’est le symbole que l’on quitte la société civile pour entrer dans une société parallèle, celle du crime. Le tatouage yakuza est très codifié. Cependant, le nombre de gangsters japonais tatoués décroît, car les nouvelles générations préfèrent un simple tatouage similaire au type occidental, plus rapide, moins douloureux et surtout bien moins cher. Parfois même, il n’y a plus de tatouage. En outre, depuis les années 90, certains yakuza cherchent à enlever leurs tatouages par opération pour retourner dans la société. La mauvaise réputation qui entoure l’irezumi fait que certains lieux publics (bains publics, etc.) restent interdits aux personnes tatouées.
Le tatouage concerne aussi le milieu de la prostitution actuel. Il est indéniable que le tatouage peut-être associé à une idée de sensualité. Certaines prostituées se font tatouer pour augmenter leur attrait envers les clients et par effet de mode, ce qui rejoint finalement les traditions évoquées à l’époque Edo.
Enfin, il existe maintenant un petit nombre de gens intéressés par le tatouage japonais pour ce qu’il est, en dehors de toute connotation, comme en Occident, ce qui montre que cette pratique a su se diffuser, même de façon limitée, et qui est de bon augure en tant que premier pas vers une reconnaissance publique de cet art.
Source de l’article : www.nihon.zen.ch