Les nippologies (nihonjinron) désignent les discours et théories produits par les intellectuels japonais au cours du 20e, et prenant comme sujet le Japon et les japonais eux-mêmes. La question de l’identité japonaise est au cœur des nippologies, dont les discours ont eu des implications anthropologiques, ethnologiques, philosophiques et idéologiques, et semblent avoir vivement contribué à la naissance et à la diffusion des clichés sur le Japon. Cet article se propose de présenter quelques-uns de ces discours et leurs auteurs.
Qu’est-ce que les nippologies ?
L’idée directrice de ce courant de pensée est que l’identité japonaise relèverait d’une essence particulière, et d’une culture unique, singulière et intrinsèquement différente de la culture occidentale.
La question de l’identité et la notion de déterminisme (biologique, culturel, national) sont prégnants dans les nippologies.
Des mythes et symboles nourrissent cette conception d’une essence japonaise unique et présentée comme impalpable pour les occidentaux : le riz, les cerisiers en fleurs (sakura), le singe, la proximité avec la nature… On constate par ailleurs que ces symboles nourrissent aussi bien souvent l’imaginaire occidental.
Bien que la chronologie de la littérature des nippologies remonte jusqu’à la première moitié du 20e siècle, les Kokuhaku (« études nationalistes ») réalisées sous l’époque Edo, avec des ouvrages tels que le Bushido (« La voie du guerrier » ou code des samouraïs) ou le Kojiki (« La chronique des fais anciens »), sont précurseurs du courant moderne des nippologies.
Les discours des nippologies vont connaître au Japon, à partir des années 70, un regain d’intérêt et avoir un rayonnement particulier.
Parmi les plus illustres auteurs et ouvrages des nihonjinron, on trouve l’anthropologue Nakane Chie (La Société japonaise, 1970), le psychologue Doi Takeo (Le jeu de l’indulgence, écrit en 1971), le philosophe Watsuji Tetsurō (Fûdo, 1935) mais également l’anthropologue américaine Ruth Benedict (Le chrysanthème et le sabre, écrit en 1947).
Les discours mettent en avant la prétendue unicité et une perception holistique du peuple japonais, c’est-à-dire, envisagé comme un tout homogène. L’identité japonaise est essentialisée et, par des caractéristiques qui lui sont propres, érigée en un principe fixe et inaliénable. Une des caractéristiques de ces discours est l’idée que l’attachement au groupe serait un élément constitutif inhérent et primordial dans l’identité japonaise.
Pour appuyer leurs théories, les auteurs ont également mis l’accent sur l’idée d’opposition entre deux modes de pensée, qui caractériseraient l’identité japonaise d’un coté, et l’identité occidentale de l’autre. Ils jouent avec l’idée de différences culturelles qui seraient indépassables en mettant en comparaison et en opposant ce qui caractériserait chacune de ces identités : la rationalité chez l’occidental, et le sensible chez le japonais.
Une construction dualiste et déterministe de l’identité
Les nippologies témoignent d’une conception culturaliste : les différences s’expliqueraient par des cultures singulières, et de surcroît mises en opposition, conduisant inexorablement à une incompréhension mutuelle entre le Japon et l’Occident.
Takeo Doi définit l’identité japonaise par des caractéristiques psychologiques particulières à l’esprit japonais, et symbolise la frontière Occident/Japon dans des couples d’opposition tels que : individualisme/groupe, ou raison/sensibilité. L’idée d’une grande importance accordée au groupe par les japonais est également présente dans sa théorie, et demeure caractéristique des discours des nippologies. C’est dans l’adhésion au groupe que l’identité japonaise trouverait son fondement, son socle.
Depuis une vision culturaliste et psychologisante, il élabore le concept d’amae, « l’indulgence » une qualité qui serait exclusivement japonaise, et signerait selon lui la spécificité et la supériorité de l’âme japonaise.
Ruth Benedict, anthropologue américaine, a également contribué à la littérature des nippologies avec Le chrysanthème et le sabre. L’Occident y est présenté comme symbolisant la culture du péché face à un Japon qui serait lui dans la culture de la honte. Aussi la honte est-elle perçue comme une valeur supérieure à celle du péché, et justifie-t-elle le sentiment de supériorité de la culture japonaise.
Le film d’Alain Corneau Stupeur et tremblements (adapté du roman largement autobiographique d’Amélie Nothomb) nous montre dans une séquence assez drôle un exemple de ces idées reçues largement répandues dans la société japonaise. Une jeune belge francophone est employée dans une grande entreprise au Japon. L’incompréhension semble totale entre elle et ses homologues japonais, malgré sa maîtrise de la langue japonaise. Une de ses collègues, avec qui elle pensait pourtant avoir davantage d’affinités, finira par lui déclarer que le cerveau japonais et le cerveau Occidental sont trop différents, et par faire avouer à la jeune belge que le « cerveau occidental est inférieur au cerveau japonais ».
Dans les théories des nippologies, le déterminisme est ainsi à l’œuvre et au fondement de la définition de l’identité japonaise. Ceci se retrouve dans la tentative plus large de ces auteurs de définir l’identité du Japon, en tant qu’il serait une nation particulière et supérieure.
À suivre.