En France, en général, le comportement qu’on adopte avec quelqu’un dépend principalement de la relation individuelle qu’on a avec cette personne : dire « tu » ou « vous », être proche ou distant… Au Japon, les relations, les comportements, le langage dépendent avant tout de ce qu’on fait partie d’un même groupe ou au contraire d’institutions différentes.
J’ai parlé plusieurs fois dans cette rubrique de la « verticalité » de la société japonaise. En voici une nouvelle manifestation. Dans cette société où les groupes sociaux ne sont pas des couches, mais des colonnes, l’individu se définit dans chaque colonne par rapport à ceux qui sont dessus et dessous (ue et shita), mais aussi par rapport à ceux qui sont à l’intérieur et à l’extérieur (uchi et soto) de chaque colonne.
Les espaces intérieurs et extérieurs sont en général bien définis. Dans les institutions, les visiteurs extérieurs sont accueillis dans des espaces spéciaux réservés à cet effet (bureau annexe, salle d’accueil…) et ne pénètrent pas dans les espaces de travail.
Cette distinction se retrouve également dans la structure de la maison japonaise. Les espaces intérieurs y sont protégés des regards du dehors : mur extérieur dans la maison traditionnelle ; fenêtres rares, petites, et munies de verre opaque dans la maison moderne.
Dans l’entreprise, dans une situation soto (extérieure), les représentants d’une entreprise sont comme “en expédition”. Parfaitement efficaces et organisés, ils respectent à la seconde les programmes prévus. Pourtant, dans une situation uchi (intérieure), il peut arriver qu’ils fassent preuve d’une inefficacité surprenante. Le travail peut être franchement relâché et les horaires s’étirer sans raison apparente. Cette différence tient sans doute à ce que les deux espaces constituent des mondes qui s’opposent. Dans le premier, on représente son entreprise ; dans le second, on est en quelque sorte dans un espace familial.
Enfin, et c’est sans doute le point le plus connu, on n’utilise pas les mêmes formes de langage avec les personnes extérieures. Dans la situation uchi, la forme employée dépend de la hiérarchie. Mais avec les personnes soto (visiteurs, clients, voisins…), on utilise une forme de japonais super-polie qui possède sa syntaxe et son vocabulaire particuliers.
Pour en savoir plus : Jean-Luc Azra (2011) «Les Japonais sont-ils différents?» (Éditions Connaissances et Savoirs)
Juste pour signaler une petite erreur : « dessus et dessus » au lieu (je suppose) de « dessus et dessous ».
Merci.
Jean-Luc, si je suis d’accord avec la deuxième partie de votre article sur la différence entre intérieur et extérieur dans l’entreprise, outre le fait qu’il existe aussi dans les entreprises et les administrations en « Occident » des espaces réservés aux visiteurs et ceux où l’on travaille, je ne suis pas d’accord avec la première sur l’architecture des maisons japonaises car comme dans tous les pays la typologie de l’habitat change avec le lieu, il y a donc des maisons urbaines, périurbaines et rurales.
De plus l’architecture individuelle japonaise a énormément changé au XXe siècle. Entre les maisons du début de Showa et celles de la fin les différences à la fois esthétiques, de structure et d’organisation de l’espace sont énormes.
On peut situer la rupture avec la maison traditionnelle japonaise urbaine dans les année 60 pour plusieurs raisons, une économique, la montée vertigineuse des prix du terrain et de la fiscalité, une technique, l’apport des techniques de constructions étrangères mais aussi japonaises anti-sismiques et des matériaux nouveaux et plus tard la standardisation industrielle des maisons vendues sur catalogue et la généralisation de la salle de bain, sans oublier la fascination du modele de la maison américaine comme image du progrès.
Dire que les maison japonaise n’ont pas de grandes ouvertures sur l’extérieur et vouloir le prouver en mettant une photo d’une maison qui d’un coté n’a qu’une fenêtre est douteux. Sur la photo on constate qu’il y a un parking sur le coté borgne de la maison, ce qui veut dire que lorsque la maison fut construite, à la place du parking il y avait sans doute une autre maison et il y a peu de raison d’avoir une fenêtre qui donne directement sur le mur ou une fenêtre du voisin.
C’est, vous le savez une habitude dans les villes, les grandes maisons sont détruites et le terrain est divisé pour payer les droits de successions et les parts des enfants. Pendant quelques années le propriétaire exploite le parking puis il vend ou construit de petites maisons qu’il vendra ou un ensemble de petits appartements qu’il louera.
Bien sur il est possible que cette maison est été construite avec un mur aveugle, les Japonais ne prêtent en général aucun intérêt à l’ordre esthétiques des fenêtres, il y a souvent des fenêtres de tailles différentes et disposées non pas en pensant à l’esthétique extérieure mais depuis l’intérieur, comme ce client qui avait demandé le percement incongru d’une petite fenêtre uniquement pour voir depuis sa cuisine quand le facteur passait.
Les maisons japonaises n’ont ni volets persiennes, ni stores extérieurs, si les fenêtres ne sont pas très hautes elle sont larges et ne protègent pas du soleil en été, comme les murs sont peu épais, entre 5 et 10 cm pour celles à ossature de bois sans isolation ni phonique ni thermique ( sauf les très récentes ) les maisons japonaises ne sont pas confortables.
Il n’y a aucun mur mitoyen dans les constructions au Japon, chaque bâtiment est séparé de l’autre quelques fois seulement 30cm séparent deux maisons. Ainsi une fenêtre peut donner sur la façade aveugle de la maison du voisin, puis la maison du voisin est détruite et 3 mois plus tard, elle peut donner sur une fenêtre de la nouvelle maison. C’est pour cela que souvent les japonais collent un vinyle translucide ( pas opaque sinon il n’y a plus de lumière) sur leurs fenêtres.
J’ai vécu dans une maison en coin de rue qui avait autant de surfaces vitrées que de murs pleins, au lieu de me ruiner en rideaux, j’ai collé ce vinyle sur les fenêtres, de toute façon il n’y avait rien à voir à l’extérieur.
Jean-Luc je pense qu’il aurait mieux valu parler de l’importance de l’entrée dans la maison au Japon. C’est ici que l’on retrouve le plus la tradition de soto et uchi. En effet l’entrée est toujours plus basse que l’intérieur de la maison, il y a toujours une marche pour entrer dans la maison proprement dite, c’est d’ailleurs à cette place que l’on laisse les chaussures.
Autrefois il y avait deux parties distincte sous le même toit, l’entrée en terre battue qui souvent donnait directement sur la cuisine aussi en terre battue où l’on ne se déchaussait pas et la partie haute plus confortable avec plancher et tatami réservée à la famille du propriétaire où l’on se déchaussait. Un architecte japonais avait comparé la partie haute de la maison japonaise à un grand lit pour montrer combien cette partie était intime. Par contre cette partie était munie de grandes ouvertures et souvent d’une véranda ( engawa) alors que la partie entrée et cuisine était assez sombre.
C’est cette distinction entre dehors et dedans mais aussi entre bas et haut qui existe encore à la fois dans l’entrée des maisons et même des appartements.
Merci pour ce commentaire, toujours éclairé. Bon, tu es dur avec ma petite photo qui ne cherche pas à prouver, mais plus modestement à illustrer. Si elle ne convient pas, on peut en choisir une autre, ou mille autre. Je pense qu’il est difficile de nier qu’en moyenne, comme on peut le voir dans la rue aussi bien que par une recherche sur Google. les maisons japonaises modernes et ordinaires ont moins de surface de fenêtres et plus de surface de mur que les maisons occidentales, et que les maisons traditionnelles sont protégées des regards extérieurs par un mur. Par ailleurs, dans un aussi petit papier, il faut faire bref, on ne peut pas parler de tout. C’est vrai que le genkan illustre bien la question et que j’aurais pu en toucher un mot. C’est maintenant chose faite, merci.
De rien Jean Luc, tes articles sont intéressants même si je ne suis pas toujours d’accord avec toi, j’ai le souhait que ma critique soit constructive. Si je peux t’aider, fais-moi signe.
A propos de l’habitat individuel japonais. Il y a dans la banlieue de Tokyo le musée d’architecture de Edo Tokyo dans le parc de Koganei, 江戸東京たてもの園. Pour y aller, le plus simple est de prendre la ligne Seibu Shinjuku, gare de Hana Koganei. puis prendre le bus ou marcher pendant 5mn.
Le musée en plain air regroupe principalement des maisons de la humble chaumière de la fin de Edo à la demeure aristocratique de la famille Mistui en passant par des maisons de commerçants, d’artisans, d’un photographe, de samouraï et celle du ministre des finances Takahashi assassiné en 1936 pendant la tentative de putsch des officiers l’armée. On peut voir l’évolution de l’habitat individuel japonais, de la maison traditionnelle jusqu’au maison de type américain, parmi ces maisons influencées par l’esthétique occidentale, il y en a une particulière, c’est celle de Kumio Maekawa qui fut l’élève de Le Corbusier en 1928. Ce grand architecte Japonais a aussi signé la Maison de la Culture de Tokyo situé dans le parc de Ueno en face du musée d’art occidental de son ancien professeur, Le Corbusier.
Tous ces bâtiments sont les originaux qui ont été démontés puis remontés dans le parc.
le site du parc :
http://tatemonoen.jp/index.html
Oui!! Le Genkan! Un des lieux essentiel pour cerner l’âme nipponne.
Un prochain article sur cet art du quotidien Jean-Luc?
Ce geste unique de laisser ses chaussures à l’entrée de la porte sacrée, le Genkan.
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